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L’EHL prédit et se prépare à une disruption dans l’enseignement

Michel Rochat, CEO du Groupe EHL, a levé le voile lors de l’assemblée générale d’Economie Région Lausanne sur des pistes nouvelles et inattendues en matière d’enseignement supérieur. DR


L’École hôtelière de Lausanne (EHL) planche sur l’inéluctable bouleversement qui s’annonce en matière d’enseignement supérieur à travers le monde. Michel Rochat, CEO du Groupe EHL, a levé le voile sur quelques pistes inattendues lors de l’assemblée générale d’ERL en mars dernier où il était l’orateur invité devant une assistance particulièrement attentive.

Sous le thème « Enseigner en 2030 », fort de sa vaste expérience, l’homme estime qu’il s’agit ni plus ni moins de réinventer le fonctionnement de la fameuse haute école à cette échéance de son plan stratégique. Suppression des examens, instauration d’un nouveau système de promotion, segmentation du métier d’enseignant et disparition d’un certain nombre de cours de base : telles sont quelques-unes des options qui seront étudiées dans le Village de l’innovation que l’EHL va créer au Chalet-à-Gobet, en lieu et place de l’ancienne caserne, à quelques centaines de mètres de son nouveau campus actuellement en construction.

Par son riche passé et son engagement permanent en matière de formation professionnelle, ERL, qui fut, rappelons-le, sous son ancienne appellation de SIC, à l’origine de l’EPSIC, est particulièrement attentive à la qualité de l’enseignement post obligatoire. Michel Rochat fut notamment membre du comité d’ERL de 2012 à 2016. La renommée et le développement de l’École hôtelière de Lausanne participent pleinement à la notoriété et à la prospérité de la région.

La disruption, terme savant qualifiant un profond bouleversement, a déjà changé la donne dans de nombreux domaines du secteur tertiaire, boostés par la numérisation des activités. L’ubérisation de plusieurs branches d’activité en est la démonstration la plus marquante. Dans l’hôtellerie et l’hébergement en général, cela passe par la multiplication des sites online qui a profondément modifié la manière de travailler. En matière d’enseignement supérieur en revanche, rien de comparable ne s’est encore véritablement produit. Les cours en ligne sont certes en plein développement, mais cela constitue davantage une évolution qu’une révolution. Or des changements profonds sont ici aussi inéluctables. CEO du Groupe EHL, Michel Rochat évoque des pistes de réflexion qui ne laissent personne indifférent.

New campus EHL
Image de synthèse du nouveau campus de l’EHL.

Fin des examens à l’ancienne

La première des modifications profondes qu’envisage le CEO de l’EHL concerne le rôle des professeurs et l’utilité des examens. Il observe que les enseignants passent près de 30 % de leur temps pour les examens. « On peut considérer qu’il s’agit d’un temps non productif si l’on part de l’idée qu’avec un enseignant qui fait bien son travail, les connaissances des étudiants sont censées être acquises à la fin d’un module, souligne-t-il. Il s’agit là d’un paradoxe qui m’a toujours un peu dérangé. » Et d’en déduire qu’il faudrait parvenir à supprimer les examens, ou à tout le moins procéder différemment, en maintenant certes les tests, mais surtout en suivant les étudiants d’une autre manière pour accorder ou non une promotion.

« Notre campus tout neuf nous rendra capables de savoir par exemple qui travaille avec qui, dans quel groupe, ou encore combien de temps l’étudiant passe en auditoire, s’il est en relation uniquement avec des camarades parlant la même langue ou de la même nationalité et bien d’autres choses encore. Il est en effet possible de récolter une foule de données dans le monde numérique.» En agrégeant tout cela, avec les renseignements issus des stages des intéressés aussi, Michel Rochat imagine que l’on puisse parvenir à un système de promotion « automatique », soit une promotion décidée dès que l’étudiant a atteint un certain objectif. « En travaillant de la sorte, on gagnerait 30 % de temps qui serait mis à profit par les profs pour l’interaction avec les étudiants. Voire davantage, lorsqu’on sait le nombre de recours déposés par des étudiants non promus, contraignant des professeurs à refaire parfois jusqu’à cinq fois un examen. »

 

Segmentation du métier

Aux yeux de Michel Rochat, la segmentation du métier est probablement le changement le plus profond auquel on doit s’attendre. Il explique : « Si je commençais à enseigner aujourd’hui, par exemple la stratégie d’entreprise, je ne me ferais pas engager par l’institution, mais je fonderais une entreprise avec deux ou trois collègues. L’un serait chargé de visiter les conférences internationales sur le sujet et de mettre à jour le script du cours. Le deuxième pourrait être filmé en interaction face à la caméra, et un troisième s’occuperait du marketing. Cela nous permettrait de constituer une société vendant un module de cours à plusieurs entreprises à travers le monde. Avec l’atout supplémentaire de pratiquer ce que l’on enseigne. »

Les universités et les grandes écoles aussi deviendraient selon lui clientes d’une telle entreprise. « Je pense que l’on va rapidement dans cette direction, que dans le futur les seuls professeurs qui seront nommés par l’institution seront ceux chargés de faire les liens entre les modules achetés par celle-ci.»

L’audace d’innover

Le troisième exemple donné par Michel Rochat est tout aussi révolutionnaire. Selon lui, une bonne partie de la matière aujourd’hui enseignée dans les hautes écoles pourrait ni plus ni moins disparaître du programme. « J’étais l’an passé à Singapour, dans une université où l’on débattait de l’intégration du digital dans les cours, raconte-t-il. Il a été décidé que la faculté de médecine de cette université allait tout simplement supprimer tous les cours concernant l’anatomie, quand bien même celle-ci permet une sélection des étudiants. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, il suffit d’une tablette pour tout connaître dans ce domaine. » D’une manière générale, il prédit la disparition d’un grand nombre de cours de connaissances de base traités par une application pour une tablette.

Pour approfondir et développer toutes ces idées, l’EHL va se doter d’un « Village de l’innovation » au Chalet-à-Gobet, sur le site de l’ancienne caserne et du restaurant. « Nous allons ici réinventer l’École hôtelière de Lausanne en repartant de zéro, annonce Michel Rochat. Des start-up oeuvrant dans ce domaine viendront s’installer en ce lieu. » Notamment les cinq qui sont actuellement actives dans l’incubateur de l’EHL créé en 2012. « En fonction du résultat de ces travaux, nous déciderons alors soit de fusionner la formule nouvelle qui en sortira avec l’actuelle, soit de nous en inspirer, ou même de changer carrément de cheval. »

Tout cela s’inscrit dans un climat pétri d’audace, mais aussi de tradition. Et à la question d’une personne de l’assistance curieuse de savoir comment l’EHL conciliait une telle modernité avec un dress code aussi strict exigé de la part des étudiants, Michel Rochat répond : « Une enquête indique que c’est non seulement accepté mais demandé par le marché et les intéressés. Cela permet de mettre au même niveau des personnes de nationalités très diverses (ndlr : plus de 100). Ce n’est pas un uniforme, mais cela crée une dynamique. » Et de conclure : « Ce n’est pas parce qu’on est bien habillé que l’on n’a pas l’esprit ouvert. »