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L’ouverture du local d’injection face aux réalités du terrain

Après le refus populaire de 2007, puis des années de tergiversations, la Ville de Lausanne a ouvert sans encombre cet automne un Espace de consommation sécurisé (ECS) à l’intention des toxicomanes. Située dans les locaux de la Fondation Accueil à Bas Seuil (ABS), dans le quartier du Vallon, cette structure a un statut de projet-pilote pour une période de trois ans.


Après le refus populaire de 2007, puis des années de tergiversations, la Ville de Lausanne a ouvert sans encombre cet automne un Espace de consommation sécurisé (ECS) à l’intention des toxicomanes. Située dans les locaux de la Fondation Accueil à Bas Seuil (ABS), dans le quartier du Vallon, cette structure a un statut de projet-pilote pour une période de trois ans. De la pertinence de la formule et du lieu choisi dépendront sa pérennisation. Sans réelle surprise, cet espace a connu un démarrage timide. Il faudra du temps pour oublier les nuisances des alentours de la place de la Riponne.

Le vocabulaire a changé, le sujet reste le même. Ne dites plus « local d’injection », encore moins « shootoir », mais « Espace de consommation sécurisé (ECS) ». Ne dites plus « toxicomanes », encore moins « drogués », mais « personnes toxicodépendantes ». La société porte désormais un regard différent sur une problématique dont elle se sent de plus en plus en partie responsable. L’opinion publique est passée imperceptiblement de la réprobation au fatalisme voire à la compassion. À Lausanne peut-être plus qu’ailleurs. Ce qui était inacceptable il y a une dizaine d’années est aujourd’hui considéré d’utilité voire de nécessité publique à la suite des gros problèmes récurrents rencontrés dans les toilettes de la Riponne et les environs. C’est ainsi que nul référendum n’est venu cette fois contrer la décision de la Ville d’ouvrir un lieu communal destiné à la consommation de stupéfiants à peu de choses près sur le modèle de celui refusé par le peuple en 2007.

L’ECS lausannois qui a ouvert ses portes cet automne est destiné à réduire les risques liés à la consommation de drogues tant pour les usagers que pour la population en général. Lausanne n’invente rien. Elle est la huitième ville de Suisse à créer un tel lieu, dans une mouvance initiée en 1986 déjà par la ville de Berne. À noter que Zurich, qui s’y est mise en 1992, compte quatre espaces de ce type. Et que Genève possède une telle structure depuis 2001. L’ECS lausannois a été aménagé dans le quartier du Vallon, dans les locaux de la Fondation Accueil à Bas Seuil (ABS), laquelle a été mandatée pour le piloter. Un choix intelligent car porteur de synergies potentielles, sachant qu’il s’intègre dans une organisation très active dans le domaine de la réduction des risques et des dommages liés à l’usage de la drogue ou de l’alcool, la Fondation ABS gérant plusieurs structures d’accueil à bas seuil, tels Le Passage, La Terrasse, le Distribus et l’EchangeBox.

Les consommateurs trouvent à l’ECS des conditions d’hygiène et de sécurité optimales.

LE PARADOXE DEMEURE

À l’image de ses semblables, l’ECS lausannois cultive le paradoxe d’offrir officiellement un lieu pour la consommation de produits dont l’usage est prohibé. La morale, sinon le droit, est cependant sauve dans la mesure où les utilisateurs ne peuvent acquérir des stupéfiants sur place. Seul le micro-trafic semble pouvoir être autorisé afin de pallier les situations d’urgence. Sur un peu plus de 80 m2, des espaces distincts sont dédiés aux différents modes de consommation, avec à disposition un matériel stérile. L’endroit n’est pas destiné à dispenser des traitements de substitution ni à de la prescription médicale d’héroïne. Les usagers doivent s’inscrire, décliner leur âge et leur prénom, mais ils ne sont pas fichés. Les mineurs ne sont en principe pas admis, mais les responsables sont habilités à juger au cas par cas. Trois personnes, au bénéfice d’une formation dans le domaine médical ou social, sont en permanence sur place, tandis qu’une quatrième est chargée de l’accueil. Entièrement financé par la Ville, l’ECS doit tourner avec un budget total estimé à 980 000 francs. À titre de comparaison, Quai 9, structure similaire à Genève, tourne avec 1 253 000 francs par an.

L’ECS de Lausanne est ouvert toute l’année, sept jours sur sept, de midi à 19 heures. Dans les premières semaines, il recevait une vingtaine de visites par jour, certains utilisateurs venant plusieurs fois au cours de la même journée. C’était encore bien loin de la centaine de personnes qui devraient selon les estimations utiliser régulièrement cette structure faite pour elles. De fait, cette entité a un statut de projet-pilote pour une durée de trois ans. Son effet sur la scène ouverte de la drogue et ses usagers fera l’objet d’une évaluation confiée à l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive (IUMSP) de Lausanne. Une chose est sûre : il faudra du temps pour changer les habitudes des consommateurs. Cela d’autant plus que l’ECS, dans le quartier du Vallon, est plutôt distant de la Riponne qui demeure envers et contre tout le lieu de rassemblement des consommateurs. Il y a certes 500 mètres seulement entre ces deux lieux, mais le minibus Distribus, financé par le Canton, qui stationne à la Riponne de 17 à 21 heures du lundi au samedi n’incite guère les usagers à se déplacer jusqu’au Vallon pour consommer.

Le bus n’est certes qu’un dispositif permettant de se fournir en matériel stérile, mais les toxicomanes qui en font l’acquisition l’utilisent la plupart du temps tout de suite, et les toilettes publiques toutes proches comme les porches d’immeubles sont leurs lieux de prédilection. Les récentes plaintes d’habitants du quartier en témoignent. Un premier réaménagement des horaires du Distribus a été décidé en cette fin d’année, retardant sa mise en service à 19 heures, soit au moment où l’ECS ferme ses portes. Une telle ambiguïté n’existe pas à Genève. Quai 9, dans le quartier de la gare, est le seul endroit où est ouvertement distribué du matériel stérile. Enfin, à l’autre bout du problème, l’ouverture de l’ECS à midi seulement semble bien tardive aux yeux des usagers qui voudraient pouvoir en bénéficier dès 9h30 comme c’est le cas pour Le Passage.