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Le Café des Artisans, l’âme du quartier du Rôtillon à Lausanne

Au pied d’un quartier du Rôtillon qui sent encore le neuf, le Café des Artisans est à bien des égards une entreprise tributaire des mêmes exigences que les autres, à savoir la nécessité de se tenir constamment à l’écoute de la clientèle et de l’évolution de son environnement.


Les établissements publics lausannois traditionnels ne sont pas là juste pour faire joli dans le paysage urbain. Ils participent à l’attractivité et au dynamisme de la ville. Ils constituent des entités complémentaires et indispensables à la convivialité, valeur essentielle et indispensable au maintien de la qualité de vie et par là de la prospérité. Au pied d’un quartier du Rôtillon qui sent encore le neuf, le Café des Artisans est à bien des égards une entreprise tributaire des mêmes exigences que les autres, à savoir la nécessité de se tenir constamment à l’écoute de la clientèle et de l’évolution de son environnement. Membre de l’association Economie Région Lausanne, ce café-restaurant se considère comme un acteur à part entière de l’économie régionale. En main depuis 2012 d’Amaya Rodriguez et de son frère Ignacio, il est bien davantage que l’âme du Rôtillon.

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Rue Centrale 16, au pied du quartier du Rôtillon. Le Café des Artisans et ses patrons Amaya et Ignacio Rodriguez pourraient inspirer l’un des chapitres aux péripéties les plus romanesques de la bistrologie lausannoise. D’abord par la riche histoire du lieu jadis considéré comme une verrue dans le paysage urbain, rasé puis magnifiquement reconstruit dans les années 90. Ensuite par le parcours qui a amené ces deux soeur et frère à exercer ici leur talent de cafetiers-restaurateurs. Aussi loin que remonte la mémoire des anciens, cet emplacement bordant la rue Centrale a toujours abrité un bistrot. Jusque dans les années 70, c’était Le Mouton. Il avait une drôle de réputation pour ne pas dire davantage. Il se distinguait par son improbable pancarte « picnic autorisé » sur sa vitrine visible de la rue. Puis l’établissement fut repris par Toto Morand, sous le nom de Café des Artisans.

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Amanya Rodriguez et son frère Ignacio, les sympathiques tenanciers d’un lieu mythique ressuscité dans le nouveau quartier du Rôtillon.

LA RENAISSANCE

Pratiquement l’ensemble de ce quartier considéré comme insalubre a connu depuis les bulldozers, pour être reconstruit tel qu’on le connaît. À la même adresse que ses devanciers, dans un immeuble tout neuf, s’ouvrait alors le Double Z, endroit charmant et branché, mais qui eut toutes les peines du monde à garder la tête hors de l’eau en raison des contraintes imposées par la Ville s’agissant des conditions d’exploitation. Au même moment, fin 2011, un peu plus haut sur la rue Centrale, se jouait un drame sans lequel l’actuel Café des Artisans n’existerait pas. La famille Rodriguez exploite le Byblos, enseigne bien connue située au bas de Cheneau-de-Bourg. Amaya Rodriguez en est l’âme et la gérante depuis plusieurs années. Or dans un climat familial conflictuel, la jeune femme doit se résoudre à quitter l’établissement qui est alors sur le point d’être vendu sans qu’elle en ait été informée. Cela provoquera une vague de soutien d’une rare ampleur de la part des habitués. « Les clients et les amis nous cherchaient un nouveau lieu pour mon frère et moi, se souvient-elle. Nous n’avions pas vraiment la tête à nous relancer. Jusqu’à ce nous apprenions que le Double Z était à remettre. » Ils sautent sur l’occasion. « Le Double Z quittait des locaux pratiquement tout neufs, très bien construits, mais le lieu ne nous correspondait pas vraiment, raconte-t-elle. On a fait faire des travaux. Et puis on s’est demandé comment on allait appeler ce bistrot. Reprendre le nom de Café des Artisans nous est rapidement apparu comme une évidence. » Il n’y a certes plus guère d’artisans dans le quartier, mais c’est l’esprit du lieu qui importe, ainsi que la volonté de se fournir préférentiellement chez des producteurs de la région.

Amatrice de brocante, Amaya Rodriguez meuble leur nouvel établissement ressuscité avec un goût pour l’ancien à la fois simple et pratique. Elle déniche par exemple d’antiques et authentiques chaises en bois de bistrot lors d’une vente consécutive à la fermeture d’un café dans le Jura. Cela procure au café un style vintage et décalé où voisinent également quelques objets design.

Ouvert en mars 2012, l’endroit est de taille modeste. Il offre quarante places à l’intérieur et trente à l’extérieur, mais il a fallu batailler pour les avoir. « À l’heure actuelle, il serait très difficile d’exploiter en ville un bistrot sans terrasse », souligne-t-elle. Tout n’est pas rose pour autant : « Nous avons le droit d’être ouverts jusqu’à minuit à l’intérieur, mais jusqu’à 23 heures à l’extérieur. »

Un non-sens à ses yeux, mais qui s’expliquerait notamment par des voisins dont les appartements donnent sur la rue Centrale. « Il y a des gens qui paient de gros loyers et oublient qu’ils habitent à la rue Centrale où il y a forcément quelques nuisances nocturnes, lâche-t-elle. C’est un peu le même raisonnement que ceux qui veulent vivre à la campagne et se plaignent du bruit des cloches des vaches. La Ville a peut-être lâché un peu de lest, mais nous vivons encore dans des conditions difficiles en regard de ce qui se fait ailleurs. » Et d’ajouter : « Nous avons la chance d’être dans un quartier bénéficiant d’une bonne dynamique, même si on espérait voir s’implanter ici davantage d’enseignes plus vivantes au lieu de vitrines mortes. C’est la faute aux loyers élevés. On y a cru quand des locaux se sont libérés près de chez nous, or voilà que c’est une assurance-maladie qui s’installe. »

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SAVOIR SE REMETTRE EN QUESTION

Comment le Café des Artisans tire-t-il son épingle du jeu dans une ville riche en établissements publics où nombre d’entre eux parviennent à peine à joindre les deux bouts ? « Notre environnement évolue rapidement. Nous devons être constamment à l’écoute de la clientèle, répond la patronne. Nous devons être ouverts à ses demandes, car c’est elle qui fait vivre l’établissement. Il faut désormais pouvoir aussi proposer des plats véganes. Nous ne sommes plus au temps où un restaurant pouvait se contenter d’un poulet au curry avec de l’ananas en boîte. » Avec une formule basée sur un menu de la semaine, un plat du jour pour le midi et une petite carte pour le midi et le soir changée à chaque saison, le café-restaurant sert entre 40 et 80 repas midi et soir et affiche la plupart du temps complet. « Je me sens dans le même panier que les commerçants qui doivent sans cesse savoir se remettre en question. Il ne faut pas oublier d’aller voir ailleurs ce qui se fait dans son secteur. C’est autant valable pour nous que pour nos cuisiniers. » Trois cuisiniers, un chef, un sous-chef et un commis, sont aux fourneaux, ainsi que deux apprentis. « Nous avons financé les cours nécessaires à notre chef et à son sous-chef pour qu’ils puissent former des apprentis et ils en ont chacun un, se félicite Amaya Rodriguez. Cela nous tenait à coeur, car nous constatons qu’il y a de moins en moins d’entreprises formatrices dans ce domaine, hormis les cuisines pour les collectivités, les hôtels, les hôpitaux ou les EMS. Or il y a une forte demande. Cette année, quand nous avons publié notre annonce, nous avons reçu au moins une quarantaine de dossiers de jeunes. Cela dit, ce n’est pas toujours évident pour eux, car il doivent comprendre que le métier est exigeant, qu’il faut faire avec des horaires coupés, que cela consiste aussi à laver des cageots de salade ou peler des kilos de pommes de terre, autant de choses qui sont assez loin de ce que l’on voit à la télé. »

Amaya et Ignacio Rodriguez ont un précieux atout : ils fonctionnent à deux, l’un pendant la journée, l’autre en soirée. « Je ne me serais jamais lancée toute seule car il ne faut pas compter ses heures dans ce métier. Je suis mère d’une petite fille de 2 ans et mon frère a deux enfants. » L’une et l’autre sont appréciés tant par la clientèle d’habitués qu’occasionnelle. « Nous cherchons à créer un lieu avec une forte dimension sociale. Notre plus beau cadeau, ce sont les gens qui repartent contents. C’est un métier qu’il faut faire avec le coeur. » Le Café des Artisans reste un établissement à l’ancienne, dans le sens où il n’a pas de site internet. « Il y a six ans que nous nous posons la question, sourit la patronne. Nous sommes conscients que ce serait un plus tout en étant bien pratique lorsque nous constatons le nombre de gens qui nous contactent par e-mail, Facebook ou Instagram. Nous sommes conscients que cela serait un plus aussi pour attirer de la clientèle étrangère qui vient passer quelques jours à Lausanne et qui se renseigne sur les lieux agréables où manger. Mais quand même, la meilleure réputation reste celle qui se fait de bouche à oreille. »