La stratégie communale qui doit relancer le site de Beaulieu

La Ville de Lausanne prend en main le destin de Beaulieu. Afin d’éviter un dépôt de bilan qui emblerait sinon inéluctable.


La Ville de Lausanne prend en main le destin de Beaulieu. Afin d’éviter un dépôt de bilan qui emblerait sinon inéluctable. La Commune crée une société anonyme en mains publiques. Son conseil d’administration, nommé par la Ville, comportera des représentants de l’administration ainsi que du privé. Dotée d’un capital de 36 millions de francs, cette SA reprend les actifs de la Fondation de Beaulieu pour la valeur des dettes. La Commune lui octroie aussi une garantie de 25 millions pour les emprunts qui lui seront nécessaires. Le Canton renonce à percevoir le remboursement d’un prêt de 15 millions consenti en 2009.

La nouvelle société est responsable de la gestion du site face aux importants défis qui l’attendent. On sait qu’il s’agit de trouver un autre moteur de développement que les foires et expositions. La SA doit ainsi assurer la diversité des activités dans le Palais ainsi que dans les Halles Sud à l’heure où la disparition du Comptoir suisse marque le déclin des foires généralistes grand public. Il faut par ailleurs conduire la mutation des Halles Nord et du Front Jomini avec le remplacement des bâtiments vétustes par des constructions permettant une valorisation économique avec une orientation privilégiée liée au sport, à la santé et la formation. Dernier point et non des moindres, il faut passer de la parole aux actes pour faire en sorte que l’ensemble du site jouisse d’une animation permanente.

D’une manière générale, la nouvelle société qui tient les rênes entend mieux intégrer le site dans la ville, le rendre vivant, et non plus désertique la plupart du temps entre les pics d’occupation lors des manifestations comme c’est le cas jusqu’à présent. Un premier pas a déjà été accompli dans ce sens avec l’installation de l’École de La Source.

Chacun s’accorde à souligner que le conseil d’administration de la société anonyme ne doit pas être un aréopage de politiques. La Ville doit évidemment être représentée, sans en assumer toutefois la présidence. On doit en effet trouver dans la dimension exécutive de cette nouvelle gouvernance des personnes disposant de compétences professionnelles en relation avec les activités de Beaulieu, tant dans l’économie, le tourisme, les congrès, les finances, la gestion, la vente, etc.

À quoi s’attendre financièrement ? « Le plan financier 2020-2023 table sur une reprise normale de l’exploitation des salons et congrès en 2020 et du théâtre en 2021, indique la Municipalité. Ce calendrier est tributaire de celui des travaux de l’aile sud qui reste à confirmer. En 2020 et 2021, la nouvelle société Beaulieu pourra encore compter sur les revenus de locations de MCH de 2,6 millions par année, définis dans la convention signée en 2018. 2021 devrait constituer une année pleine où le site pourra être exploité de manière complète et la location MCH sera encore encaissée. Après 2021, l’objectif est de maintenir une bonne collaboration avec MCH notamment pour les salons importants que représentent Habitat et Jardin ou le Salon des métiers. La fin de convention MCH en 2021 constituera néanmoins un manque à gagner qu’il faudra compenser. »

STOPPER L’HÉMORRAGIE

Rien ne s’est passé comme prévu à Beaulieu. En 2000, la Société coopérative du Comptoir Suisse, à la fois propriétaire des bâtiments et de la majorité des grands événements, aux prises avec de graves difficultés économiques, avait fait place à une entité scindée entre une Fondation dotée d’un capital de 80 millions essentiellement apporté par les collectivités publiques et une SA d’exploitation disposant d’un capital de 5 millions apporté par les milieux économiques vaudois.

Cette restructuration qui fit grand débat à l’époque devait assurer le maintien, sinon la prospérité, du site. Or il apparut assez rapidement, d’une part que la capitalisation de la Fondation était insuffisante pour procéder aux investissements nécessaires, d’autre part que le déclin des activités dû à l’évolution du marché des foires et expositions ne permettait pas à la société d’exploitation d’atteindre le chiffre d’affaires nécessaire pour s’acquitter de son loyer auprès de la Fondation. La réduction du droit de superficie consentie par la Ville ne permit guère d’améliorer la situation et encore moins d’arrêter la tendance.

Les espoirs de grand professionnalisme nés du rachat de la SA par MCH en 2009, ainsi que de la reconstruction des Halles Sud, de cessions et de restructurations partielles, n’ont pas vraiment amélioré une situation qui était devenue intenable en raison du déclin irréversible des expositions grand public. C’est ainsi qu’à partir de 2017, la Fondation a cédé une partie de ses locaux à des partenaires externes. Cela a permis notamment à l’École de La Source (ELS) de s’implanter sur deux étages du bâtiment principal, ainsi qu’au Tribunal arbitral du sport (TAS) d’investir l’aile sud du Palais de Beaulieu.

DES ATOUTS À FAIRE VALOIR

Ce qui demeure aujourd’hui, ce sont les caractéristiques intrinsèques du site de Beaulieu, à savoir une situation centrale dans l’agglomération lausannoise, une excellente accessibilité qui sera renforcée encore avec le futur M3, la disponibilité de tous les équipements utiles pour la tenue de congrès, la proximité avec les hôtels, etc. Et de rappeler que Lausanne est une ville fortement orientée vers le tourisme d’affaires, lequel représente deux tiers des nuitées hôtelières de la région. Autant d’atouts qui méritent en dépit d’une conjoncture difficile un nouvel effort des collectivités pour les faire valoir sur le long terme.

Sur le terrain, il s’agira à court terme de reconstruire ou de transformer complètement les Halles Nord. Avec le Front Jomini, ces constructions représentent quelque 40 000 m2 de surface de plancher qu’il serait insensé d’aménager à des fins d’accueillir des foires au vu de ce qui précède. Il pourrait en découler une valorisation foncière d’une quarantaine de millions de francs. Ces espaces seront destinés de préférence à des activités complémentaires à celles qui se trouvent en place à Beaulieu par ailleurs. Qu’y mettre, d’ici là ? Les propositions ne manquent pas, allant de manifestations sportives, loisirs, e-games ou marché local dans l’alimentation.

La nouvelle stratégie exclut certains types d’activités. Ainsi en est-il pour le logement, dont ce n’est pas la vocation du site. Et de noter en effet que « le cadre urbanistique actuel (PDCom, PALM) montre clairement que Lausanne dispose de toutes les ressources nécessaires pour répondre au besoin de production de logements pour les 15 à 20 prochaines années ». C’est bien plutôt de sites de développement économique que la commune a besoin, sachant qu’elle est la grande ville de Suisse où le nombre d’emplois par rapport à la population est le plus bas.

Pour l’heure, un appel a été lancé en début d’année à des projets susceptibles de faire vivre les Halles Nord d’ici leur démolition qui devrait survenir vers 2025. C’est ainsi que près de 17000 m2 en lots de 875 à 3500 m2 sont proposés à la location à un tarif particulièrement avantageux en raison de l’équipement sommaire de ces surfaces.

IL NE FAUT PAS RÊVER

La décision de créer cette nouvelle société en main de la Ville résulte d’une réflexion confortée par les résultats d’une vaste consultation. Il s’agissait notamment de répondre à la question essentielle de savoir en quoi cette restructuration serait différente des précédentes. La Municipalité rappelle ici d’abord que ne rien entreprendre, c’est laisser aller le site vers le dépôt de bilan tant la situation est grave, considérant qu’il est illusoire d’imaginer que de nouvelles expositions grand public puissent prendre le relais du Comptoir suisse. Cela dit, les formules magiques n’existent pas. « Le succès n’est pas garanti car, comme toute activité économique, le projet comporte une part d’impondérables et de risques », rappelle la Ville. Cependant : « Les résultats obtenus depuis fin 2017 et les analyses effectuées, en particulier en ce qui concerne le marché et les coûts d’exploitation de Beaulieu, permettent de réduire ces risques, sans toutefois les supprimer. Le projet, sur ces bases, a des chances raisonnables de réussir. »

S’il s’agit de travailler avec un modèle viable sur le long terme, il ne faut pas rêver à un site de Beaulieu qui parviendrait à équilibrer ses comptes, moins encore à dégager du bénéfice. L’expérience et les projections montrent que Beaulieu ne pourra pas atteindre un tel équilibre s’il doit assumer ses frais financiers, intérêts et amortissements. Il faut donc bien admettre que la gestion d’un théâtre et d’un centre de congrès engendre une participation constante de la collectivité. Au chapitre du financement, à l’image de ce qu’a fait la Commune de Montreux, Beaulieu devrait pouvoir aussi compter sur une contribution des milieux touristiques par une augmentation de quelques francs de la taxe de séjour. En fonction du périmètre défini, cela pourrait rapporter des recettes de 2,5 à 3 millions de francs, dont 1,5 million environ affecté à Beaulieu. Cela ne serait que juste retour lorsqu’on sait que les congrès internationaux demandent souvent le paiement de droits d’entrée de la part de la ville ou de la région d’accueil.