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INFRASTRUCTURES: « LAUSANNE-AIRPORT » FACE À LA DENSIFICATION URBAINE

L’étau de l’urbanisation se resserre autour de l’aéroport de La Blécherette à l’heure de la densification urbaine.


L’étau de l’urbanisation se resserre autour de l’aéroport de La Blécherette à l’heure de la densification urbaine. Il en va à terme du maintien de l’activité de cette alternative de plus en plus appréciable à l’aéroport de Genève. Bête noire des riverains, l’aéroport lausannois vient de s’engager à réduire autant que faire se peut les nuisances sonores dont ils se plaignent. Davantage par gain de paix qu’en application de directives formelles en la matière. L’émergence de nouvelles technologies pourrait cependant changer la donne. Il demeure qu’en l’état, selon l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC), des mesures du bruit in situ ne sont pas formellement nécessaires.

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« Lausanne-Airport.ch » Nulle forfanterie dans cette appellation. Le site internet de l’aéroport de La Blécherette annonce clairement une couleur bien réelle. Comme toute grande ville de Suisse qui se respecte – Lausanne est la quatrième du pays par sa population derrière Zurich, Genève et Bâle –, la capitale vaudoise a son aéroport. Celui-ci est de classe internationale, ce que la modestie de sa structure tend parfois à faire oublier. L’existence de l’aéroport de La Blécherette suit un long vol plus ou moins tranquille depuis sa création il y a un peu plus de cent ans. Son parcours est en effet jalonné de quelques turbulences voire de quelques sérieux trous d’air. Cette infrastructure aéronautique a même failli être emportée par un trou d’air provoqué par la contestation au début des années nonante.Elle a cependant pu être sauvée par le corps électoral lausannois qui l’a plébiscitée à trois contre deux lors d’un scrutin mémorable en 1992.

LES TEMPS CHANGENT

Renouvelée en janvier 2007, la concession accordée par l’OFAC à La Blécherette pour le trafic intérieur et international court jusqu’au 31 décembre 2036. Mais cela ne met pas l’aéroport à l’abri des écueils. La dernière turbulence franchie avec promesse de succès remonte à quelques semaines. Grâce aux bons offices de la Commune de Lausanne, laquelle est parvenue à rassurer une association de riverains se plaignant du bruit. Un protocole d’accord entre les deux camps est désormais censé apaiser le jeu, quand bien même la partie se déroule dans un climat de plus en plus tendu en raison d’une densification urbaine galopante dans l’ensemble du secteur. Pour autant, rien ne permet de prédire des lendemains bardés de restrictions nouvelles qui finiraient par asphyxier le fonctionnement de cette infrastructure qui fait ce qu’elle peut et ce qu’elle doit pour s’adapter à un environnement en constante évolution. Les temps changent. La génération d’aéronefs utilisant la motorisation électrique commence sérieusement à montrer le bout de son nez.

En juin 2019, la société tchèque BRM Aero présentait à l’aéroport de Sion le Bristell Energic, un avion biplace équipé d’une motorisation électrique et de batteries développées par un spin-off de Solar Impulse, laquelle a obtenu une certification de l’OFAC pour son projet. Doté d’une autonomie de 90 minutes et nécessitant une heure pour recharger sa batterie, cet avion bien évidemment entièrement silencieux semble tout indiqué pour l’écolage et il devrait être disponible dès 2021. Or il se trouve que la formation des pilotes représente une part non négligeable de l’activité de La Blécherette, et que celleci, qui se déroule souvent dans un périmètre aérien restreint, est particulièrement dans le collimateur des riverains. La problématique récemment traitée à la suite d’une pétition de 450 riverains ainsi qu’un postulat allant dans le même sens a été pour la Ville l’occasion de décortiquer le fonctionnement de cet aéroport aux multiples facettes généralement peu connues en dehors de ses utilisateurs.

Avec en préambule le rappel que, depuis 1993, sa gestion et son exploitation relèvent du droit privé, assurées par la société Aéroport région lausannoise-Blécherette SA (ARLB), détentrice de la concession. Au bénéfice d’un droit de superficie communal valable jusqu’au printemps 2069, l’ARLB verse à la Commune chaque année depuis 2015 une redevance de 58 588.80 francs. L’association réaliserait un chiffre d’affaires annuel compris entre 2,7 et 3,1 millions de francs, dont les taxes d’atterrissage, de passager et de stationnement représentent environ 12 % de ce montant. Le reste provient surtout des locations des hangars et hangars divers.

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PLEIN NORD OU PLEIN SUD?

Transfigurée depuis l’an 2000, La Blécherette dispose d’une piste en dur nord-sud longue de 875 mètres et large de 23 mètres. Cela a mis un terme à l’ère des « avions de brousse », ainsi qu’aimait à les qualifier Patrick Depreux, pilote et administrateur de l’ARLB. La piste accueille aujourd’hui aussi bien des avions à hélice que de petits jets d’affaires qui peuvent se satisfaire de cette longueur de piste. De fait, en langage aéronautique, il ne s’agit pas d’une piste, mais de deux en une, dans la mesure où elle est utilisée dans le sens plein nord – la 36 – ou dans le sens plein sud – la 18. La Blécherette est exploitée dans le cadre d’un cadastre du bruit validé par l’OFAC établi sur la base d’un volume de vols extrapolé à 45 000 décollages ou atterrissages. Ce nombre de mouvements est en fait compris entre 30 000 et 40 000 par année. On en a dénombré 36 515 en 2018. Comme dit plus haut, les avions peuvent décoller soit en utilisant la piste en direction du nord, soit celle en direction du sud. C’est ce second cas de figure qui suscite la colère de riverains. Ce choix implique un survol à basse altitude de quartiers d’habitations alors que les moteurs tournent à plein régime ou presque. Et comme l’atterrissage se fait normalement en empruntant la direction inverse, les avions arrivent aussi par le sud, certes en faisant moins de bruit. Enfin, l’utilisation de cette piste vers et depuis le sud a connu une augmentation depuis une douzaine d’années. Elle est passée de 40 à 55 % des mouvements, quand bien même cette proportion n’a été que de 41 % en 2018 avec 7427 décollages dans cette direction.

L’ARLB s’est engagée à faire en sorte que davantage d’avions décollent plutôt vers le nord et atterrissent en arrivant de cette direction ainsi qu’à inciter l’utilisation d’aéronefs les moins bruyants. Mais elle rappelle que la décision du sens de décollage incombe au pilote. Et que ce choix repose sur le critère essentiel du sens dans lequel souffle le vent : les avions décollent et atterrissent en effet plus facilement nez au vent. Mais ce n’est pas tout. D’autres éléments favorisent parfois la préférence de la piste sud. D’abord parce que le tarmac de La Blécherette est caractérisé par une légère déclivité vers le sud. Ensuite pour des raisons de sécurité, parce que le terrain présente un meilleur dégagement en bout de piste vers le sud en cas de difficulté que vers le nord où les avions survolent à très basse altitude l’autoroute de contournement. De fait, l’argument de la direction du vent ne viendrait finalement pas en première position. Les données météo indiquent que la répartition des deux vents dominants dans la région, à savoir celui soufflant du sud et celui du nord, ne suffit pas à expliquer objectivement l’augmentation des décollages par le sud constatée depuis 2010.

NUISANCE EN FAITS ET CHIFFRES

Quid du bruit ? La Ville a mandaté un bureau spécialisé pour réaliser des mesures à partir d’habitations situées dans l’axe du couloir sud de l’aéroport. Cette étude conclut sans surprise qu’il existe une gêne effective pour des riverains et livre les comparaisons suivantes : « Le niveau moyen de bruit par le passage d’un avion (au point proche de l’aéroport) correspond à 1,5 camion ou 6 voitures (mesurées au bord d’une chaussée) circulant simultanément ou encore 0,8 train (en bord d’une voie ferrée). La durée d’exposition au bruit d’un avion est cependant environ trois fois plus longue que les autres véhicules mesurés. » Quid de la pollution atmosphérique ? Elle est presque insignifiante. Il a été calculé que les émissions induites par les mouvements d’avions dans un secteur de 300 mètres autour de l’aéroport représentent moins de 1 ‰ de la charge totale de la ville de Lausanne s’agissant de l’oxyde d’azote et du CO2. Enfin, aux opposants qui rêvaient de voir La Blécherette fermer le dimanche, il est répondu que cela n’est juste pas possible, même partiellement, pour un aéroport pourvu d’une concession avec une douane comme celui-ci. La seule restriction, découlant du règlement, est l’interdiction des vols d’écolage le dimanche, le samedi après-midi et les jours fériés.

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UTILE À L’ÉCONOMIE RÉGIONALE

L’aéroport de La Blécherette n’est pas seulement une plateforme dédiée aux loisirs ainsi qu’on l’imagine parfois. Il a prouvé son utilité pour l’économie régionale et l’essor de la région lémanique. Les vols d’affaires représentent une part importante de ses recettes. Et cela pratiquement sans faire de publicité pour les appeler. Pour ne mentionner qu’eux, les dirigeants d’entreprises comme Nestlé, Medtronic, Logitech, Kudelski et en général les patrons de sociétés multinationales apprécient les facilités qu’il permet pour rejoindre de grands hubs ou des capitales étrangères. Les formalités y sont bien plus simples et rapides. Tout cela dans une discrétion appréciée notamment par les stars du monde du sport, de la musique ou du cinéma visitant ou habitant la région. D’une manière générale, le fait pour Lausanne de disposer d’une alternative efficace aux aéroports majeurs du pays constitue un atout qui peut avoir son poids lorsque certaines grandes entreprises décident de s’installer dans la région. Tout récemment, l’aéroport s’est lancé dans le transport de fret. Cette activité est organisée par une société genevoise. Un premier transport de marchandises entre Lausanne et l’aéroport de Bournemouth dans le sud de l’Angleterre a eu lieu le printemps dernier. Là aussi, c’est la grande flexibilité et l’efficacité des infrastructures qui semblent déterminantes. La statistique sur les cinq dernières années (soit de 2014 à 2018) indique l’importance des vols d’écolage, qui représentent près de 40 % des mouvements pour les avions et 30 % pour les hélicoptères. Seul un peu plus d’un quart de ceux-ci a un lieu d’origine ou de destination autre que Lausanne.
Non moins de six sociétés actives dans la formation des pilotes sont basées ou ont une base opérationnelle à La Blécherette :

  • Groupement de vol à moteur, Lausanne
  • Aeroformation
  • Air-espace/Flight Academy
  • Fly 7 Executive Aviation SA
  • Heli-Lausanne SA
  • JM Simulation

Last but not least, le site de La Blécherette abrite aussi une base de la Rega, entité distincte dont nul ne met en question la pertinence.