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MOBILITE: LES VÉRITABLES ENJEUX DU 30 KM/H DE NUIT EN VILLE

Fort des résultats prévisibles à l’issue du projet-pilote initié il y a deux ans en ville de Lausanne, le Canton a « institutionnalisé » la possibilité de limitation de la vitesse à 30 km/h de nuit entre 22 h et 6 h.


Fort des résultats prévisibles à l’issue du projet-pilote initié il y a deux ans en ville de Lausanne, le Canton a « institutionnalisé » la possibilité de limitation de la vitesse à 30 km/h de nuit entre 22 h et 6 h. Les communes qui voudront y recourir devront certes satisfaire à certains critères, mais elles se pressent au portillon. La communication enthousiaste des pouvoirs publics reflète à juste titre la satisfaction des riverains. Les enjeux ne se limitent cependant pas à grappiller pratiquement sans frais quelques décibels pour offrir à la population concernée un « sommeil sain et profond », comme le promet une fameuse marque suisse de matelas. Cette application bienveillante de l’Ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit (OPB) résulte aussi d’une contrainte financière. Elle doit atténuer de lourdes dépenses à la collectivité au cas où des citoyens s’estimant lésés viendraient à saisir la justice pour violation de la loi. D’ici là, le législateur devra répondre à une question embarrassante : quel sort réserver aux conducteurs de véhicules de services d’urgence pour ne pas être criminalisés par la justice.

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Le 30 km/h de nuit en ville sur des routes principales urbaines est une dérogation au 50 km/h venue « d’en bas ». Il a été en effet rendu possible par un arrêt du Tribunal fédéral de 2010. La Haute Cour avait donné raison à un propriétaire d’immeuble qui demandait à la Ville de Zoug de mener un essai sur deux rues bruyantes du centre afin de connaître l’impact d’une telle mesure. Les juges de Mon-Repos ont estimé que la lutte contre le bruit excessif devait se faire prioritairement à la source avant d’envisager une isolation phonique de la chaussée ou des bâtiments. À la suite de cette décision, plusieurs villes se sont senties légitimées voire encouragées à s’engager dans la voie d’une telle expérimentation.

À Zurich, à la Kalchbühlstrasse, le résultat a dépassé les attentes : on tablait sur une diminution de 2,4 dB, elle a atteint 4,5 dB. Lausanne a été la première ville romande à tenter l’expérience, dès 2017, sous l’égide du Canton et de la Confédération. Reste à savoir ce que l’on peut véritablement espérer à terme.

« Le 30 km/h de nuit est une mesure qui se situe au croisement des préoccupations actuelles. Elle concerne autant la santé, la sécurité ou l’environnement. » Cheffe du Département des infrastructures et des ressources humaines, la Conseillère d’État Nuria Gorrite parle d’or. Cela quand bien même cette profession de foi perd chaque année un peu de sa pertinence lorsqu’on la réduit à la seule lutte contre les nuisances sonores des véhicules. Il est de fait que l’évolution de la densité du trafic routier en ville est sur la même pente descendante que celle du bruit généré par les moteurs modernes. La part des véhicules électriques, donc parfaitement silencieux, gagne chaque année du terrain. Gardons-nous cependant de considérer que la généralisation quasi programmée du 30 km/h de nuit sur de grands axes urbains pour des raisons de tranquillité des riverains serait un combat dépassé. Les données relevées lors des essais-pilotes menés à partir de 2017 à Lausanne indiquent, ici et maintenant, des effets bénéfiques.

64 KILOMÈTRES ÉLIGIBLES À LAUSANNE

Deux avenues lausannoises au profil très différent avaient été sélectionnées pour tester les effets d’une limitation nocturne à 30 km/h entre 22 h et 6h : l’avenue de Beaulieu caractérisée par une forte déclivité jalonnée de signalisations lumineuses favorisant les accélérations, ainsi que l’avenue Vinet voisine, au contraire quasiment plane et sans obstacles. Dans les deux cas, les mesures effectuées avant les essais indiquaient un dépassement de la valeur limite respectivement de 10 à 13 décibels (dB) et de 8 à 10 dB. Sans surprise, les riverains ont constaté et apprécié la différence. Sur l’avenue de Beaulieu, l’intensité sonore moyenne a diminué de 2,5 à 2,7 dB, avec des pics à –4 dB. Sur l’avenue Vinet, le gain a été moindre, mais tout de même de –1,9 à –2,6 dB. Dans les deux cas, les bruits extrêmes ont diminué de 80 %. Au niveau de la perception, on estime qu’une amélioration de 3 dB équivaut à une baisse de 50 % du trafic.

Selon les données actuelles, ce sont 64 kilomètres de rues lausannoises qui pourraient se voir doter d’une telle limitation de la vitesse, apportant ses effets bénéfiques à quelque 33 000 riverains de routes où les valeurs limites de nuit sont dépassées. Et de préciser que, cantonnée aux heures nocturnes, cette mesure ne concernerait pour finir que 10 % des véhicules circulant sur le réseau routier. Sur le plan vaudois, plus de 150 communes pourraient être autorisées à instaurer le 30 km/h de nuit, à savoir celles présentant une densité de plus de 200 habitants par kilomètre le long d’une voie faisant déjà l’objet d’une limitation à 50 km/h.

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LE MOYEN LE MOINS CHER

Si les pouvoirs publics ont empoigné la question du bruit routier, c’est bien sûr pour le bien-être de leurs résidents, mais aussi pour éviter les complications juridiques qui pourraient leur tomber dessus si un groupe d’habitants s’estimant lésés en venait à saisir la justice. La législation est en effet claire : si les valeurs limites sont dépassées, c’est au propriétaire de la route qu’il incombe de financer l’insonorisation. Et les propriétaires des routes principales, ce sont généralement les communautés publiques. Le 30 km/h de nuit, issu de la procédure initiée par un riverain zougois comme indiqué plus haut, n’est qu’un élément parmi d’autres dans la boîte à outils à disposition pour diminuer le bruit routier.

À Lausanne, un crédit global de 4,487 millions de francs doit être consacré à cette fin autant par une amélioration de l’infrastructure de transports publics, la pose de fenêtres antibruit, l’extension du réseau de zones 30, la pose de revêtement phono-absorbant et la mise en place du 30 km/h nocturne. De toutes ces options, la dernière est de loin la moins coûteuse à mettre en oeuvre, car à la différence des zones 30, elle ne nécessite aucune adaptation de la voirie, et elle ne coûte que le prix de quelques panneaux de signalisation. On ajoutera sans rire qu’elle peut rapporter gros lors de contrôles radar… En comparaison, la pose de revêtement phono-absorbant – qui fait gagner en général 1 dB – est non seulement plus chère, mais elle perd assez rapidement en efficacité..

URGENTISTES INQUIETS

Tout irait pour le mieux s’il n’y avait un problème de taille, pour l’heure non résolu. La question a été soulevée par les associations professionnelles de services d’urgence. Ambulanciers, pompiers professionnels et fonctionnaires de police s’inquiètent des conséquences à la fois pour une partie de la population ainsi que pour eux-mêmes du 30 km/h de nuit sur des axes principaux.
La sévérité découlant de Via Sicura considère ces professionnels comme des chauffards s’ils sont flashés à rouler dès 70 km/h sur une route principale placée sous le régime du 30 km/h de nuit, en intervention ou pas, alors que cette limite de « culpabilité extrême » est de 100 km/h lorsque la vitesse est limitée à 50 km/h. On ajoutera que concentrés sur leur intervention, ces gens ont d’autres soucis que de garder les yeux sur leur indicateur de vitesse. Pour rappel, le délit de chauffard est sanctionné par deux ans de retrait de permis et une peine privative de liberté plancher de un an pouvant aller jusqu’à quatre ans.

Saisie d’une question à ce propos posée en septembre dernier par le Conseiller national Jean-Pierre Grin, la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a répondu par la négative. Elle a rappelé que les conducteurs qui commettent des excès de vitesse lors de leur intervention, mais en agissant avec la prudence imposée par les circonstances, ne sont pas punissables. Pas question donc de délivrer un blanc-seing aux services d’urgence. Or ce n’est pas si simple. Tout est donc question de proportionnalité. Il se trouve cependant qu’avant d’être blanchi, le conducteur en question aura obligatoirement été dénoncé et fait l’objet d’une procédure pénale avec toutes les tracasseries et le stress que cela implique. Car telle est la pratique dans le domaine très particulier de la délinquance routière où la présomption de culpabilité l’emporte sur celle d’innocence et où c’est au prévenu de faire la preuve de cette dernière face au verdict du radar considéré comme infaillible.

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PRÉSUMÉS COUPABLES

En clair, ambulanciers, pompiers professionnels et policiers en intervention devraient faire la preuve de la nécessité de leur excès de vitesse, quelle qu’en soit la gravité d’ailleurs. Autrement dit, il leur faudrait démontrer a posteriori que la situation était grave au point de foncer comme ils l’ont fait. Pas besoin de faire un dessin pour comprendre l’absurdité d’une telle exigence. Au point que certains urgentistes pourraient choisir plutôt de lever le pied que de prendre le risque de se retrouver devant un procureur ou un juge qui considérerait que l’urgence n’était pas aussi vitale qu’ils le pensaient. Autant dire que seul un risque de décès imminent trouverait grâce aux yeux de la justice… Et cet ambulancier de rappeler qu’en cas d’arrêt cardio-respiratoire, chaque minute perdue fait diminuer de 10 % les risques de survie. Sachant que le temps d’intervention à Lausanne est en moyenne de 7 minutes, celle perdue sur un trajet de mettons deux kilomètres pour ne pas « trop » dépasser le 30 km/h au milieu de la nuit en se rendant auprès d’un malade ou d’un blessé pourrait bien être fatale.

Envisagée par certains, la possibilité d’apposer sous le signal 30 km/h une plaque indiquant « services d’urgence exceptés » est inapplicable en l’état car une telle indication ne figure pas parmi celles autorisées par l’Ordonnance sur la circulation routière. Ce serait pourtant une solution facile à mettre en oeuvre. Le Conseiller national Olivier Feller a quant à lui déposé une motion demandant une adaptation de Via Sicura à une situation où paradoxalement rouler plus lentement peut conduire à mettre une vie en danger. C’est aussi l’un des enjeux du 30 km/h de nuit. Le 30 km/h de nuit est bel et bien « au croisement des préoccupations actuelles » selon la formule de Nuria Gorrite qui souligne avec pertinence qu’elle « concerne autant la santé, la sécurité ou l’environnement ».