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L’ESSOR DU TÉLÉTRAVAIL DE LA TENDANCE AUX NÉCESSITÉS

La pandémie a, par la force des choses, amplifié et transformé en expérience forcée une pratique en plein essor, déjà bien implantée dans les grandes sociétés, mais qui peine à convaincre nombre de PME.


La pandémie a, par la force des choses, amplifié et transformé en expérience forcée une pratique en plein essor, déjà bien implantée dans les grandes sociétés, mais qui peine à convaincre nombre de PME. Bien des employeurs et des milliers de personnes auront ainsi découvert depuis ce printemps les réalités du télétravail, manifestation d’un véritable changement structurel et culturel qui prend de l’ampleur avec la multiplication d’opportunités jadis insoupçonnées. Internet et les logiciels de télécommunication sont bien sûr le moteur de cette transition numérique dans le monde du travail, mais pas seulement. Les avantages du travail à domicile bien organisé et intelligemment dosé s’expriment également en termes de gestion de la mobilité. Au-delà des nombreuses études sur ce thème, l’intuition suffit à comprendre que lorsqu’on travaille à la maison on fait l’économie de déplacements ce qui soulage immanquablement le flux des pendulaires.

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« En cette période de coronavirus, vous avez peut-être besoin d’un endroit plus calme que la maison pour travailler ? » Cet hôtel 3 étoiles du bord du lac de Neuchâtel, qui tournait au ralenti en raison de la crise de la Covid-19, annonçait qu’il loue à la journée des chambres équipées du wi-fi au prix cassé de 30 francs ou 120 francs la semaine aux personnes contraintes de travailler à domicile sans possibilité d’y trouver la tranquillité nécessaire. Respect de la distance sociale garanti, commodités à dispositions. Plusieurs autres établissements hôteliers dans la même situation se sont ainsi lancés dans une telle démarche de solidarité avec les personnes contraintes au télétravail en proposant des chambres durant les heures de la journée.

L’Office fédéral de la statistique (OFS) devra sérieusement revoir à la hausse les derniers chiffres qu’il a publiés s’agissant de la pratique en Suisse du travail à domicile à l’aide des outils de télécommunication. Le respect des directives édictées par le Conseil fédéral pour contenir la propagation du coronavirus fait littéralement exploser les données collectées jusqu’à fin 2019. Or celles-ci étaient déjà en croissance exponentielle, et il y a fort à parier qu’une bonne partie des expériences forcées depuis quelques mois déboucheront sur des situations durables. Les grandes sociétés n’ont pas attendu la crise. Elles s’y sont mises depuis longtemps déjà, la plupart du temps en développant cette pratique en veillant à l’établir sur une base volontaire. Les PME seraient souvent plus réticentes. De fait, le télétravail implique un changement de culture au sein de l’entreprise. Ce n’est plus la présence des collaborateurs sur leur lieu de travail qui prime, mais la réalisation d’objectifs donc un management sensiblement différent.

De 2001 à 2018, année la plus récente prise en compte par l’OFS avant la crise, le nombre de personnes actives occupées (salariés ou indépendants) effectuant du travail à domicile, au moins occasionnellement, c’est-à-dire au moins une fois par mois, a plus que quadruplé.

Ce nombre est passé à plus d’un million d’individus, soit un actif sur quatre. Durant la même période, celui des gens travaillant à la maison pendant plus de 50 % de leur activité est certes plus réduit, mais il est passé tout de même de 30 000 à 138 000 personnes. Cette proportion varie évidemment fortement selon les branches économiques.

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BÉNÉFIQUE À L’ENVIRONNEMENT

Là où on trouvait jusqu’à présent essentiellement des personnes actives dans l’administration, l’enseignement, la formation ou la communication, se joignent désormais celles œuvrant dans les domaines les plus divers, pour autant que leur cahier des charges soit compatible avec l’activité de la société qui les emploie. Ce printemps, l’État de Vaud, en application de sa stratégie de transition numérique, en a quasiment généralisé la pratique dans certains services pour les personnes qui le peuvent et a vivement encouragé dans d’autres. Les milieux de la finance s’y sont mis aussi, non sans appréhension et réticence, en raison des données sensibles qui les caractérisent. Il ne suffit pas en effet de disposer d’un téléphone et d’un ordinateur, mais d’une connexion parfaitement sécurisée avec l’informatique de l’entreprise. Comme il a bien fallu s’y mettre, les banques ont dû revoir à la baisse certaines exigences en matière de sécurité dans ce domaine, sans que cela pour autant ne pose problème, du moins à notre connaissance. La prudence vaut d’ailleurs pour les entreprises qui s’y mettent. Elles courent presque immanquablement des risques si elles improvisent.

« En Suisse, quelque 450 000 employés pourraient travailler un jour par semaine à la maison », observait l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) dans une étude sur le télétravail remontant à quelques années et dont les chiffres peuvent aujourd’hui être facilement multipliés par 1,5. « Cela permettrait d’économiser 67 000 tonnes de CO2 par an », écrivait-il. Ce qui demeure, c’est que, selon cette étude, « dans une entreprise de 150 employés, le potentiel d’économie qu’apporterait un jour de télétravail par semaine équivaut à la charge en CO2 à cinq tours du monde et demi en avion ». Et sous l’angle économique, les calculs de l’OFEV permettaient de dire que, chaque année, « les CFF pourraient économiser des dizaines de millions de francs pour l’élargissement de leurs capacités si un pendulaire sur cinq travaillait un jour par semaine à domicile ». D’une manière générale, le télétravail contribue, avec les espaces de coworking hélas en raison de la crise pénalisés par la nécessité de distance sociale, à la flexibilité souhaitée pour alléger l’infrastructure des transports. Et last but not least, les conséquences de l’extériorisation des collaborateurs ont des effets sur l’immobilier de bureau. Les sociétés les plus actives dans le télétravail ont d’ores et déjà intégré cette notion en réduisant le nombre de postes physiques de travail. Ils y sont désormais moins attribués à une personne déterminée, mais à disposition des télétravailleurs lorsqu’ils doivent occasionnellement se rendre dans l’entreprise pour effectuer certaines tâches. De fait, tout porte à penser que c’est un système « win win », avec d’un côté l’entreprise qui peut redimensionner certaines de ses infrastructures, et de l’autre le collaborateur qui fait l’économie notamment de frais de déplacement quotidiens. Reste à savoir dans quelle mesure les employeurs pourront effectivement prendre en compte ces économies de places de travail physiques à la lumière de la récente décision du Tribunal contraignant une entreprise à participer aux frais, notamment de loyer, d’un employé contraint de travailler à domicile.

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NOTION ASSEZ FLOUE

À la guerre comme à la guerre… Il demeure que le télétravail, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, est presque une zone de non-droit en matière de droit. Ce domaine est en principe encadré par la Loi fédérale sur le travail à domicile (LtrD) dont la dernière mouture date de 2009 et dont les racines remontent à plus de vingt ans, autant dire à une époque où l’on ne pratiquait pas encore de télétravail à proprement parler.

Le Conseil fédéral a édicté en 2016, en réponse à un postulat, un rapport fouillé de plus de 80 pages sur les conséquences juridiques du télétravail. « Les règles générales du droit du travail permettent de manière générale de répondre aux problèmes nouveaux posés par le télétravail, concluait le Gouvernement. Une question se pose toutefois en rapport avec la législation existante en matière de travail à domicile. L’opportunité d’étendre ces règles spéciales ou certaines d’entre elles au télétravail mérite d’être examinée. Le cas échéant, la définition du télétravail serait à déterminer. Certains points mériteraient en outre d’être examinés de plus près : accord pour faire du télétravail, protection de la santé et temps de travail, et question du matériel, des infrastructures et des frais. Une modification de la pratique fiscale actuelle dans le but de favoriser la pratique du télétravail nécessite une décision politique. Les situations internationales de télétravail sont régies par les règles générales qui donnent des réponses aux problèmes qui se posent. Enfin, des données plus précises sur le télétravail seraient souhaitables, notamment s’agissant du télétravail régulier. »

Plus concrètement, en 2019, le Seco a édité une brochure intitulée Travailler chez soi, observant que «ni le Code des obligations ni la loi sur le travail n’évoquent explicitement la forme de travail que représente le télétravail à domicile. C’est pourquoi les dispositions en vigueur de ces deux lois s’appliquent par analogie au travail chez soi. Il n’existe encore que peu de jurisprudence sur ce thème ». Cette brochure, disponible gratuitement sur son site, n’en donne pas moins de nombreux conseils et informations s’agissant des droits et obligations des employeurs et des employés. Sans pour autant régler clairement la question du traitement des frais engendrés par le télétravail, notamment sur le plan fiscal.

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DÉLICATE INTÉGRATION

Toutes les études concordent à dire que l’engagement et la rentabilité de la personne qui télétravaille sont supérieurs à celles qui sont actives dans les locaux de l’entreprise. Un constat qui ne s’appuie pas seulement sur la suppression des bavardages devant la machine à café, mais sur une meilleure concentration à l’ouvrage. Dans une étude réalisée à l’Université de Saint-Gall, il est apparu qu’un employé de bureau est en moyenne interrompu 44 fois par jour dans son travail. Il reste à mettre en place les conditions optimales, sinon acceptables, pour que les avantages du télétravail à domicile l’emportent sur les inconvénients. Le respect de confidentialité des documents est une question de confiance. La cohabitation avec le cadre familial, notamment s’agissant de la part du temps consacrée au travail, est souvent plus délicate.

Dans leur expérience contrainte de travail à la maison, nombre de personnes s’accordent à regretter le manque de contacts directs avec leurs collègues. La visioconférence, avec son formalisme, ne remplace pas les échanges informels, sources de motivation et de renforcement d’appartenance à la même entreprise. Témoignage à méditer : « Je travaille à plein temps à la maison par la force des choses, tous les jours, depuis des semaines, confie Camille. J’en viens à regretter l’heure que je devais passer chaque jour dans les transports publics pour me rendre à mon bureau car c’était pour moi un moment que j’appréciais pour décompresser après une journée chargée. Le télétravail c’est bien, mais un jour par semaine, pas davantage. »

MARCHÉ À SAISIR

Les télétravailleurs sont devenus si nombreux qu’ils représentent un marché spécifique à saisir, avec d’autant plus de nécessité que le ralentissement économique affecte toutes les branches en mesure de leur proposer des services ou des produits sur mesure. Les offres de mobilier de bureau taillé spécialement pour travailler à la maison se multiplient sur la Toile. On y trouve aussi des vêtements censés être plus adéquats ou du moins remonter le moral de celles et ceux qui dépriment ou ne veulent pas rester toute la journée en pyjama devant leur ordinateur connecté au bureau.

Avec quelques cocasseries, telle celle-ci constatée par la chaîne américaine de grands magasins Walmart au rayon habillement. Elle indique que ses ventes, par correspondance évidemment, laissent apparaître depuis peu un déséquilibre entre le nombre de vestons et de pantalons. Avec pour hypothèse qu’en visioconférence, les cadres n’ont besoin que de la moitié d’un complet veston face à la webcam. Ce n’est pas la maison d’habillement Hockerty, spécialiste du sur-mesure, qui dira le contraire. «Il est très important de se mettre dans une ambiance professionnelle et cela passe par notre tenue vestimentaire », lit-on sur les pages de son site dédiées aux tenues pour le télétravail.