LA VOIE DE L’APPRENTISSAGE AU DÉFI D’ASSURER LA RELÈVE

Les 19,5 millions de francs alloués dans l’urgence par le Canton pour aider les entreprises plombées par la crise sanitaire à engager des apprentis s’inscrivent dans un défi qui ne concerne pas seulement les employeurs. Bon an mal an, 4500 jeunes entament un apprentissage dans le canton, dont 3400 dans le secteur privé, essentiellement dans des PME.


Les 19,5 millions de francs alloués dans l’urgence par le Canton pour aider les entreprises plombées par la crise sanitaire à engager des apprentis s’inscrivent dans un défi qui ne concerne pas seulement les employeurs. Bon an mal an, 4500 jeunes entament un apprentissage dans le canton, dont 3400 dans le secteur privé,  essentiellement dans des PME. Ils le font dans un climat qui ne valorise guère en Suisse romande ce genre de formation par rapport à la voie gymnasiale. Or il en va de la relève de la main-d’oeuvre qualifiée et de la santé de l’économie. Les initiatives se multiplient heureusement pour encourager ces futures forces vives à choisir cette voie. Ainsi en est-il, par exemple, du Salon des Métiers et de la Formation, du Prix Entreprises Formatrices décerné chaque année par Économie Région Lausanne et la Ville de Lausanne, ou encore des concours pour apprentis au niveau régional ou national.

La crise sanitaire tombant au mauvais moment a quasiment gelé ce printemps la conclusion de nouveaux contrats d’apprentissage. Les entreprises avaient d’autres soucis plus pressants que de recruter des jeunes en fin de scolarité obligatoire et d’organiser des stages d’initiation. À la mi-mai, le Canton constatait un retard de 25 % dans les contrats signés par rapport au même moment en 2019. Des milliers d’élèves de 11e année étaient encore à la recherche d’une place. C’était bien davantage qu’en moyenne suisse, notamment parce que, outre-Sarine, par tradition, bien plus de contrats avaient été signés avant l’arrivée de la pandémie. Plusieurs mesures exceptionnelles ont été mises en place, tant par la Confédération que par les Cantons. Le Conseil fédéral a décidé d’accorder une exception au gel d’embauche aux entreprises bénéficiant du chômage partiel lorsqu’il s’agit d’engager des apprentis. Le Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) a mis en place, pour une durée limitée à fin 2020, la Task Force « Perspectives Apprentissage 2020 » afin de fédérer les forces et de mobiliser l’ensemble des partenaires. Au plan vaudois, dans un premier temps, un montant de 16 millions de francs a été prélevé sur le Fonds cantonal de lutte contre le chômage, lequel se montait à 65,4 millions. Le Canton a ainsi pris en charge la moitié du salaire de première année des apprentis débutant leur formation en août – 700 francs par mois en moyenne –, puis la moitié du salaire annuel de tous les apprentis de 2e et de 3e année qui ont subi un licenciement en raison de l’épidémie. Une mesure « arrosoir » bienvenue s’adressant aux entreprises qui en faisaient la demande, mais qui n’a pas échappé à la critique. Des voix ont fait remarquer que cette aide mettait sur pied d’égalité de grandes institutions et de petites PME, deux pans de l’économie n’ayant pas précisément les mêmes soucis au même moment, bien que toutes exposées au risque économique. Le Conseil d’État vaudois a lancé ensuite une seconde opération de soutien à la formation duale au début de l’été, en débloquant 3,2 millions supplémentaires. Et il a prolongé dans la foulée au 15 novembre le délai d’engagement. Deux autres mesures ont été notamment mises en place dans ce contexte. D’une part, l’incitation à créer des réseaux permettant de répartir la responsabilité et la charge de la formation pour les petites et moyennes entreprises. D’autre part, la mise en place d’un modèle baptisé « Junior Teams » consistant à placer six ou huit jeunes apprenant le même métier sous la responsabilité d’un formateur engagé pour les encadrer. Tout indique que cela a porté ses fruits. À la fin de l’été, on dénombrait plusieurs centaines de places vacantes dans le canton sur le site formation.ch. Avec l’espoir que la rentrée différée au 30 novembre permettrait d’en pourvoir le plus grand nombre. Reste à savoir quel sera réellement l’impact de ces aides exceptionnelles à moyen terme. Selon une étude des Universités de Berne et de Zurich, entre 5000 et 20 000 contrats d’apprentissage en moins seront conclus en Suisse au cours des cinq années à venir. La problématique ne se résume pas à un appel à la responsabilité sociale des entreprises de contribuer à la relève dans l’économie.

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DES HAUTS ET DES BAS

Sur les quelque 40 000 entreprises recensées en terre vaudoise, on estime à 6700 seulement, pour la plupart des PME, le nombre de celles formant des apprentis. À première vue, tout porte à croire que ces aides extraordinaires allouées par l’État ont porté leurs fruits. Il en a suivi une explosion d’offres de places d’apprentissage dans le canton mises en ligne sur le site orientation.ch. Avec, en tête de file, les métiers de gestionnaire du commerce de détail, d’employé(e) de commerce et d’installateur-électricien. Reste à savoir combien de ces places trouveront finalement preneur. Au coeur de l’été, face à une baisse continue de candidats à la formation de maçon mettant en péril la relève de futurs contremaîtres, le secteur de la construction a lancé à l’intention des jeunes une campagne sur les réseaux sociaux pour tordre le cou à certains préjugés. En clair, ce ne sont pas vraiment les offres d’apprentissage qui manquent. On en trouvait près de 500 sur le site formation.ch début septembre, tandis que la Confédération multipliait les appels aux jeunes sur les réseaux sociaux. En fait, l’aide cantonale visait davantage à éviter un décalage impliquant un report d’un an pour des jeunes sortant de l’école obligatoire qu’à faire grimper une offre globalement suffisante toutes professions confondues. De fait, la problématique de la situation de la formation professionnelle duale est complexe. Elle s’étend bien au-delà de la crise résultant de la pandémie. Elle ne se résout pas seulement par des encouragements financiers aux employeurs pour raviver ce que l’on peut considérer comme un devoir envers la société. L’an dernier, l’émission Forum de la RTS tentait de comprendre pourquoi des milliers de places d’apprentissage restaient vacantes à un moment de l’année où les contrats sont généralement signés. Ce fut l’occasion de rappeler que la situation était inverse au début des années 2000, et qu’elle dépend fortement de la démographie, à savoir de la fluctuation du nombre de jeunes arrivant au terme de leur scolarité obligatoire. Mais il y avait autre chose aussi. L’apprentissage souffre d’un problème d’image, et cela tout particulièrement en Suisse romande. Plus précisément, la formation duale est clairement plus populaire dans la partie est du pays que dans la partie ouest. Il y a donc ici un effort considérable à faire en matière d’orientation des jeunes.

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L’ATTRAIT DU GYMNASE

Baptiste Müller, responsable du thème politique Formation au Centre Patronal, porte sur cette problématique un regard acéré dans une analyse publiée sur le site de l’association. La politique scolaire vaudoise a selon lui une part de responsabilité dans cette situation. Non pas s’agissant du thème récurrent du niveau de connaissances de base inculquées aux élèves, mais en matière d’orientation à la fin de la scolarité obligatoire. À ses yeux, « l’obstacle majeur dans l’orientation vers la formation professionnelle réside dans la facilité d’accès à l’école de culture générale (ECG). Le coronavirus est passé par là et il fut beaucoup plus aisé pour les élèves de la voie générale (VG) d’obtenir les points nécessaires pour s’y inscrire. Les jeunes sont donc… au gymnase ! » Et d’ajouter que « faussement appelé durant des années ‹ voie diplôme ›, le positionnement sciemment entretenu d’une sorte d’école de maturité B relève de l’enfumage généralisé. On continue d’en payer le prix puisque de nombreux jeunes, croyant repousser leur choix professionnel et s’inscrivant souvent par défaut ‹ au gymnase ›, iront gonfler les rangs de l’ECG l’an prochain. Beaucoup termineront de toute manière en formation professionnelle dans quelques années. » Force est d’admettre qu’entrer au gymnase est considéré, en Suisse romande surtout, comme étant bien plus valorisant que se lancer dans un apprentissage ou s’inscrire dans une école professionnelle. Il demeure que les initiatives se multiplient pour présenter aux jeunes la multitude de métiers qui s’offrent à eux avec des possibilités de carrière qu’ils ne soupçonnent souvent pas. Le Salon des Métiers et de la Formation, qui se tient chaque fin d’année à Beaulieu, est devenu au fil des ans une plateforme d’orientation appréciée pour les choix professionnels des élèves et des adultes. Il joue un rôle important essentiellement dans la valorisation de la formation duale. Sa dixième édition, en 2019, a battu tous les records d’affluence avec 42 445 visiteurs, écoliers, enseignants, parents, jeunes, soit 24 % de plus que l’année précédente. Mieux encore, le nombre d’élèves de 10e et de 11e année qui s’y rendent avec leur prof ne cesse d’augmenter. Une centaine d’exposants y présentaient sur plus de 10 000 m2 un large panel de métiers, de manière très concrète, permettant bien souvent aux jeunes visiteurs de mettre la main à la pâte. Tout aussi concrète est l’aide offerte chaque année par le Prix Entreprises Formatrices lancé en 2003 par l’association Économie Région Lausanne puis élargi par la Ville de Lausanne. Cette distinction est allouée à des entreprises de la région lausannoise qui se distinguent par leur engagement en faveur de la formation professionnelle duale. Elle a la particularité de récompenser à la fois l’entreprise formatrice et l’apprenti(e). L’entreprise lauréate reçoit en effet une contribution de 300 francs par mois pendant la durée de l’apprentissage, et l’apprenti touche une prime de 500 francs lorsqu’il a obtenu son certificat. Enfin, à l’intention des apprentis exclusivement, plusieurs concours permettent aux meilleurs de bénéficier d’un sacré coup de pouce pour leur carrière. Mentionnons par exemple le concours du meilleur apprenti cuisinier de Suisse romande – à décliner bien sûr aussi au féminin. Ou les fameux SwissSkills ouverts à une soixantaine de professions.