Extension du 30 km/h en ville – pour le meilleur et pour le pire

A la différence de villes comme Genève ou Berne, Lausanne semble avoir bel et bien enterré l’idée de mettre en place un quelconque péage urbain. La lutte contre la mobilité individuelle urbaine motorisée se déroule désormais sur un autre plan. La qualité de la mobilité, individuelle ou collective, est une condition-cadre en matière économique, sensible à toute modification de paramètres. Le Tribunal cantonal a donné son feu vert à la Commune de Lausanne pour une quasi-généralisation du 30 km/h de nuit et l’extension de celui-ci de jour en ville. Cela pourrait n’être toutefois qu’une étape vers la fin du 50 km/h en tout temps, y compris sur des routes principales. Les projets allant dans ce sens se multiplient en Suisse. La lutte contre la pollution sonore est une noble cause, mais le débat s’annonce serré : l’Union des transports publics craint une perte de compétitivité de ses services, le TCS doute de la pertinence de l’idée, les services d’urgence s’attendent à des pertes de temps et, cerise sur le gâteau depuis peu, la mobilité individuelle électrique bouleverse la règle du jeu.

L’expérience pilote initiée il y a trois ans sur les axes routiers principaux lausannois que sont les avenues de Beaulieu et Vinet n’était qu’une mise en bouche. La Commune a com- mencé cet automne la pose de 610 panneaux signalant un abaissement à 30 km/h de la vitesse entre 22 h et 6 h dans 122 de ses rues, représentant 60 km de voirie. Avec la bénédiction de la justice vaudoise.

Le feu vert du Tribunal cantonal obtenu à la suite d’un recours déposé lors de la publication du projet dans la Feuille des avis officiels ouvre désormais clairement cette voie d’assainissement de bruit routier, au niveau cantonal à tout le moins. Près de 70 communes vaudoises seraient intéressées par une telle limitation nocturne. Les projets ne seront toutefois validés que si les valeurs des nuisances sonores de nuit sont dépassées.

Considéré désormais comme une mesure d’utilité publique, le 30 km/h de nuit est la réponse la moins coûteuse à l’exigence de respecter les seuils fixés par la législation fédérale contre les nuisances sonores. Cela coûte en effet bien moins cher que la pose ou le renouvellement de revêtements ou de vitrages phono-absorbants. Selon les configurations urbaines, le gain se situe entre –1 et –3 dB, cette dernière valeur correspondant au ressenti d’un bruit diminué de moitié. A Lausanne, l’amélioration moyenne a été mesurée à –2 dB. Cela en acceptant un allongement du temps de parcours de 5 sec par 100 m par rapport à une vitesse théorique de 50 km/h. La baisse de pollution émise par les moteurs thermiques est quant à elle plus délicate à chiffrer. Enfin, les analyses statistiques indiquent une diminution de 15 à 25 % du taux d’accident. Voilà pour le côté jardin. Côté cour, les services d’urgence attendent avec impatience le réaménagement de Via Sicura, actuellement en chantier, qui les dispenserait de faire systématiquement l’objet d’une poursuite pénale pour justifier un gros dépassement de la vitesse lors d’une intervention.

 

Changement de paradigme

Aujourd’hui, ce n’est plus tant le 30 km/h de nuit lorsque les conditions sont réunies qui fait débat, mais les velléités d’introduire en Suisse en tout temps un tel abaissement général de la vitesse sur les axes urbains principaux alors qu’il est actuellement destiné aux zones résidentielles selon une formule bien définie. Une initiative parlemen- taire a été déposée à Berne l’été dernier. Elle demande que le 30 km/h devienne la norme dans les localités afin de lutter contre le bruit et améliorer la qualité de vie. Il faudrait bien sûr une modification de la Loi fédérale sur la circulation routière pour y parvenir.

La législation actuelle n’autorise un abaissement de la vitesse générale que s’il n’existe aucun autre moyen d’éviter un danger, en matière de sécurité routière ou de protec- tion de l’environnement. Pour rappel, l’initiative fédérale

« Rues pour tous » qui voulait généraliser le 30 km/h dans les localités moyennant des exceptions, soumise au vote en 2001, avait été rejetée par près de 80% des votants.

Vingt ans après, la question revient sur le tapis, plutôt discrètement, sous forme d’essais pilotes en Suisse aléma- nique. Un sondage réalisé cette année par le BPA indique que la majorité des Suisses est favorable à un abaissement à 30 km/h de la vitesse à l’intérieur des localités, sauf sur les principaux axes de circulation. De fait, nous assistons à un changement de paradigme. Les exemples allant dans ce sens à Paris ou Bruxelles se fondent notamment sur le fait que la densité du trafic urbain est telle qu’il ne s’écoule en fait rarement à plus de 30 km/h.

La Ville de Zurich a annoncé cet été son intention d’in- troduire une telle limitation sur l’ensemble de son réseau routier par étapes jusqu’en 2030, à quelques exceptions près. Et Lausanne ne cache pas vouloir aller plus vite encore. Bref, tout porte à croire que cela deviendra bientôt la norme, du moins dans les centres urbains. Mais il y a un hic.

 

Transports publics dubitatifs

Peter Goetschi, président central du TCS, déclarait récemment qu’il s’agit d’une fausse bonne idée en raison des inconvénients qu’elle comporte s’agissant de la hiérarchisation du réseau routier. Concrètement, il déplore que le véritable objectif de cette mesure consiste à éliminer la mobilité individuelle alors qu’elle est complémentaire aux transports publics. Il n’est pas le seul avis autorisé à manifester de l’inquiétude. Paradoxalement, à première vue, le questionnement s’empare aussi des transports publics.

Ueli Stückelberger, directeur de l’Union des transports publics (UTP), faisait part en juillet passé de sa crainte de voir les transports en commun perdre de leur attrait en cas d’un 30 km/h introduit sur des routes très fréquentées. Cela pour la simple et bonne raison qu’en devenant eux aussi plus lents, bus et trams seraient moins sollicités par les usagers. Les Transports publics zurichois se sont même livrés à un petit calcul. Leur simulation a abouti à la nécessité d’acquérir des véhicules supplémentaires pour continuer à assurer la même fréquence de service en cas de diminution de la vitesse maximale autorisée.

Pour la LITRA, cette plateforme dédiée à la politique des transports en Suisse, c’est même un véritable casse- tête qui se profile pour les entreprises de transports en commun. Ralentis à 30 km/h, ils auraient notamment pour concurrent le développement de la mobilité douce indivi- duelle électrique. Le jour approche en effet où se déplacer en ville avec l’e-bike ou à trottinette électrique se révélera plus rapide qu’en bus. La raison d’être de celui-ci se limitera-t-elle alors aux jours de pluie ? Seuls resteront peut-être concurrentiels les transports publics circulant véritablement en site propre, car on les imagine alors dispensés de l’abaissement de la vitesse. C’est l’objectif des tl avec les BHNS (Bus à haut niveau de service) sur deux transversales lausannoises, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres en raison des aménagements de la voirie que cela implique.

 

INDOMPTABLE, L’E-TROTTINETTE S’EMBALLE

Imbattable sur les courtes distances en ville, mais pas seulement, la trottinette à moteur électrique n’est plus un jouet pour grandes personnes et détrône chaque jour davantage celle qui avance à la force musculaire. Deviendra-t-elle demain une rivale pour les transports en commun ? Une partie de la réponse est déjà connue. Comme l’e-bike, mais plus pratique, elle est considérée comme l’une des alternatives aux bus et métro lorsque la promiscuité des usagers s’accorde mal avec les restrictions sanitaires que l’on sait.

Droite ou pliante, toujours plus compacte voire parfois équipée d’une selle, avec des modèles à la portée de quasi toutes les bourses, l’e-trottinette semble de plus en plus jouer les trouble-fêtes de la politique des transports urbains. Dispensée d’immatriculation, accessible dès l’âge de 14 ans (avec un permis M), puis au-delà sans permis, l’e-trottinette doit, pour être homologuée en Suisse pour circuler sur la voie publique, comporter dans sa version de base un moteur dont la puissance est limitée à 500 W. C’est plus que satisfaisant pour se frayer un chemin dans la circulation à une vitesse ne devant pas excéder 20 km/h, mais il en est qui atteignent 60 km/h ou davantage et ne peuvent rouler que munie d’une homologation spécifique. Car, assimilées légalement à des vélos, c’est bien dans la circulation, et non sur le trottoir, qu’elles doivent circuler. Une contrainte en réalité loin d’être satisfaite et semble-t-il difficile à faire respecter étant donné la furtivité de ces petits véhicules et le sentiment légitime de leurs utilisateurs peu enclins à se mêler au trafic automobile en raison de la vulnérabilité extrême de ces engins.

Revers de la médaille : le nombre d’accidents dus aux e-trottinettes impliquant leur conducteur ou des piétons explose, essentiellement parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses. En Suisse, le nombre de tels accidents a bondi de 99 en 2019 à 223 l’an passé, et encore ne s’agit-il que des cas ayant fait l’objet d’un rapport de police. Ces accidents ont lieu pour la plupart en ville, surtout dans celles où l’on trouve un libre réseau de trottinettes électriques, ce qui pourrait bientôt exister aussi à Lausanne.