L’EAU POTABLE LACUSTRE BIENTÔT AU-DESSUS DE TOUT SOUPÇON…

Saint-Sulpice II, la future nouvelle usine de pompage des eaux du Léman par le Service de l’eau de la Ville de Lausanne, sera pourvue d’un dispositif de traitement des micropolluants unique en Europe. Elle prendra la relève sur le même site d’une installation en service depuis cinquante ans, désormais en bout de course, qui alimente pour plus d’un tiers le réseau de distribution lausannois. La réalisation et la mise en service des futurs équipements ont été attribuées au consortium franco-suisse Wabag – OTV Veolia et représentent un coût de 44,8 millions de francs pour une dépense globale de 82 millions. Cette nouvelle station contribuera à distribuer, à l’horizon 2026, une eau potable encore plus irréprochable aux quelque 380 000 personnes résidant dans les 19 communes alimentées par la capitale vaudoise.

 

Pas de panique ! L’eau du Léman purifiée et injectée dans le réseau de distribution de la ville de Lausanne à partir des stations de captage de Saint-Sulpice et de Lutry est tout à fait propre à la consommation en regard des exigences de l’Ordonnance du DFI sur l’eau potable et l’eau des installations de baignade et de douche accessibles au public (OPBD). Or, on peut faire mieux, et probablement que dans un futur proche, on devra faire mieux.
Depuis que les méthodes de chimie analytique permettent de les mettre en évidence, les micropolluants sont devenus la bête noire des responsables de réseau de distribution d’eau potable. Présents en quantités infinitésimales, de l’ordre du nanogramme (milliardième de gramme) par litre, on est actuellement en mesure d’en détecter une trentaine et d’en mesurer une vingtaine dans l’eau brute du Léman.

Principe de précaution
Pris isolément ou combinés, les effets potentiels sur la santé de ces résidus phytosanitaires, médicamenteux, produits d’entretien ou industriels font encore débat, mais le principe de précaution dicte de tout mettre en oeuvre pour les éliminer de l’eau destinée à la consommation. Cela d’autant plus que viennent s’y ajouter les microplastiques tels que microbilles contenues dans certains produits de gommage, sprays, gels pour les cheveux, dentifrices et autres cosmétiques. Tel est le défi qui sera relevé à la future nouvelle station de captage et de traitement que le Service de l’eau
de la Ville de Lausanne s’apprête à ériger en lieu et place de l’actuelle installation de Saint-Sulpice, en fonction depuis un demi-siècle. L’usine de Lutry, qui remonte à une petite vingtaine d’années, est quant à elle encore pratiquement comme neuve.

A Saint-Sulpice, ce sera loin d’être une mince affaire. D’abord parce que cette usine représente plus du tiers de l’approvisionnement du réseau lausannois, essentiellement distribué dans les communes de l’Ouest lausannois. Ensuite parce qu’il ne sera pas possible de cesser son exploitation pendant la construction de la nouvelle et qu’il va falloir jongler. Enfin, last but not least, parce que ce projet est estimé à quelque 82 millions de francs.

De fait, c’est un défi de taille que s’apprête à relever Saint-Sulpice II. L’usine, qui capte l’eau du Léman à 1 km au large et 40 m de profondeur, se situe en effet à 3 km en aval de la station d’épuration de Vidy. Cette dernière rejette certes des eaux toujours plus propres dans le Léman, or son influence sur l’installation de Saint-Sulpice avait été démontrée par une étude en 2017. Une influence qui devrait cependant nettement diminuer grâce aux améliorations apportées lors de la mue en voie d’achèvement de cette importante infrastructure de traitement des eaux usées. Autre souci : l’embouchure de la Chamberonne, elle aussi en aval, plus proche encore de Saint-Sulpice, où la qualité de l’eau est parfois considérée comme « mauvaise » en raison de collecteurs épisodiquement surchargés qui y déversent leurs eaux usées.

La chaîne actuelle de traitement de Saint-Sulpice se compose d’une filtration sur une couche de sable, suivie d’une désinfection au chlore. C’est considéré aujourd’hui comme insuffisant, car cela laisse passer des éléments qui devraient être éliminés de l’eau potable, comme des microalgues et des diatomées, certes sans danger pour la santé. Ce traitement est par ailleurs considéré comme inefficace face aux micropolluants.

Première européenne
Le marché attribué en décembre dernier par la Municipalité de Lausanne au consortium franco-suisse Wabag – OTV Veolia pour Saint-Sulpice II à la suite d’un appel d’offres international fera de cette installation une première suisse et même européenne en matière de traitement des micropolluants tout en anticipant des problématiques futures dans ce domaine. Le procédé retenu est dit à multibarrières évolutif. Il y aura d’abord une préfiltration à hauteur de 130 microns, puis une phase d’oxydation avancée par couplage ozone-eau oxygénée, une filtration sur charbon actif en grain, de l’ultrafiltration, de la nanofiltration pour 10 à 15 % des flux avec reminéralisation et enfin une dernière étape de désinfection. Ce traitement sera appliqué à 25 % du débit. A l’horizon 2026, il devrait permettre de produire 1400 l d’eau potable de très haute qualité par seconde. Pour exemple, l’entreprise indique que « la Metformine, un antidiabétique qui n’est pas sur la liste rouge des autorités sanitaires, passera par exemple de 600 à moins de 100 ng par litre ».

Saint-Sulpice II, ici en image de synthèse, la future nouvelle usine de pompage des eaux du Léman par le Service de l’eau de la Ville de Lausanne, prendra la relève sur le même site d’une installation en service qui alimente pour plus d’un tiers le réseau de distribution lausannois. DR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D’une manière générale, l’objectif est d’arriver à terme à une eau potable qui ne nécessite plus forcément de chlore pour sa désinfection. Reste tout de même à savoir jusqu’à quel point l’eau potable peut et doit être purifiée. Des techniques d’osmose très puissantes produisent en effet une eau non seulement totalement insipide, mais qui ne contient plus de sels minéraux, d’où la nécessité d’une reminéralisation pour lui procurer quelques vertus…

Souci à la source
Saint-Sulpice II délivrera donc une eau potable au-dessus de tout soupçon. Or, la tâche du Service de l’eau de la Ville de Lausanne ne sera pas pour autant totalement facilitée. Un autre type de contamination lui donne occasionnellement du fil à retordre : la pollution au chlorothalonil qui affecte parfois certaines des sources alimentant le réseau. Le chlorothalonil est un pesticide de la famille des fongicides utilisé notamment dans la culture maraîchère et la vigne. Il est interdit en Suisse depuis janvier 2020 car reconnu potentiellement cancérigène, mais il a laissé des traces dans les eaux souterraines. Le seuil maximal admissible de chaque pesticide et ses métabolites dans l’eau potable est de 0,1 millionième de gramme par litre.
Le Service de l’eau observe dans son rapport d’activité pour 2020 : « A ce jour, l’ensemble des ressources impactées représente un volume de 5 % de l’eau distribuée, soit environ 2 000 000 m3 par an devenus inutilisables. Hors contamination, ces ressources alimentent de façon gravitaire le réseau de distribution et permettent de limiter les coûts énergétiques pour le transport de l’eau. De ce fait, elles assurent également l’approvisionnement en cas de crise. » Ces pertes ont été compensées par une augmentation du pompage dans le Léman. Loin de rester sans rien faire, la Ville a lancé
des essais d’élimination de ce polluant par filtration membranaire, absorption sur charbon actif et oxydation par l’ozone.

 

UN RÉSEAU DE 920 KM

Chaque jour qui passe, plus de 90 000 m3 d’eau potable en moyenne sont acheminés par quelque 920 km de conduite du réseau de distribution du Service de l’eau de la Ville de Lausanne. En 2020, sa production globale a atteint environ 32 millions de m3 en 2020, soit une progression de 4,4 % par rapport à 2019 et de 3,4 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années. Cette progression s’explique essentiellement par le développement démographique de la région lausannoise. En plus du chef-lieu, ce sont en effet 18 communes qui sont alimentées au détail par le réseau de distribution lausannois, et une quarantaine de communes ou associations de commune qui sont servies en gros, c’est-à-dire gèrent elles-mêmes la distribution.
En 2020, près de deux tiers du volume distribué provenaient du Léman (35,9 % de l’usine de Saint-Sulpice et 29,6 % de celle de Lutry). Lausanne exploite par ailleurs une usine aux abords du lac de Bret (14 % du volume) ainsi que quelque 120 sources. En fonction des besoins, ce sont environ 30 kg de chlorure de sodium (sel de cuisine) par année qui sont ajoutés à l’eau afin de l’adoucir, ainsi que 88 t de polychlorosulfate d’aluminium qui la clarifie et améliore le filtrage en se liant aux particules fines.
Le prix de l’eau, enfin, est un vaste sujet qui a plus d’une fois opposé la Ville de Lausanne et le Surveillant des prix depuis les années 2000. Jugé trop élevé, il a dû être abaissé à plusieurs reprises tout en restant au-dessus de la moyenne suisse. Le prix du m3 est ainsi passé en deux étapes de 1,92 franc à 1,68 franc en 2022.