LES NOUVEAUX DÉFIS DE LA TRANQUILLISATION URBAINE

Les actions et les démarches se multiplient comme jamais à Lausanne pour tenter de résoudre le casse-tête du trafic individuel motorisé, et par là celui de l’accessibilité à l’infrastructure commerciale de la ville. Au nom de la tranquillité des résidents et du Plan climat municipal, les restrictions l’emportent sur les facilités visant à assurer le maintien de l’ouverture de la capitale vaudoise aux visiteurs motorisés. Les velléités de généralisation du 30 km/h à l’entier de la journée, puis récemment la volonté d’extension de zones de rencontres limitées à 20 km/h, agitent les esprits. Usant du droit d’initiative sur le plan communal, le PLR lausannois éprouve toutes les peines du monde à faire valider une démarche prônant l’aménagement d’un hypercentre-ville piétonnier entouré d’une « petite ceinture » où la vitesse maximale ne pourrait pas être abaissée à 30 km/h. Un avis de droit demandé par la Municipalité considère contraire à la loi de demander directement au peuple de se prononcer sur ce thème.

Durant toute la belle saison, jusqu’au 19 septembre, les quais de Belgique et d’Ouchy sont réservés à la « mobilité active ». Comprenez qu’entre la place du Port et la tour Haldimand, du samedi à 10 h au dimanche à 20 h, tout trafic de véhicules à moteur est interdit. Enfin presque. Les vélos, et les trottinettes électriques surtout, restent autorisés, sur la chaussée bien sûr, parmi les piétons, et non sur le trottoir comme il se doit. Tant pis pour l’entorse à la définition de « mobilité active », limitée en principe à la seule force musculaire. Cette reconduction d’une expérience menée en 2020 en pleine pandémie résulte d’une enquête faisant ressortir une satisfaction générale. Avec pour réserves toutefois la baisse du chiffre d’affaires des commerçants du bas de l’avenue d’Ouchy et les hordes de cyclistes contraignant les piétons à utiliser le trottoir, heureusement fort large le long du quai. Cette opération « mobilité active » à Ouchy, au demeurant fort sympathique pour celles et ceux qui en profitent, met en évidence, par les reports de trafic qu’elle engendre, un principe cardinal des flux motorisés. Lorsqu’un canal rétrécit ou se ferme, le flux doit en effet en trouver un autre ou alors s’accumuler en amont. L’enquête réalisée après l’expérience de 2020 rapporte ainsi sans surprise le mécontentement d’habitants de l’avenue des Jordils notamment. Même combat ailleurs à Lausanne. Par exemple, l’Histoire dira le bénéfice de la requalification de l’avenue d’Echallens. Ou encore celui du programme communal « Rues vivantes », fondé notamment sur l’aménagement de « zones de rencontre » en lieu et place de voies de circulation conçues jadis pour l’irrigation des quartiers. Dans un cas comme dans l’autre, la question
pourrait se résumer à savoir quels sont les effets collatéraux en matière de sécurité, sachant que dans de telles conditions un conducteur doit porter au moins autant son regard vers son compteur de vitesse que sur l’environnement…

Initiative compliquée
Le PLR lausannois s’en inquiète et Xavier de Haller, son vice-président, conseiller communal et président de l’ACS Vaud, observait récemment qu’aux yeux de l’autorité lausannoise, ces restrictions sont essentiellement justifiées par la diminution de la motorisation des ménages dans la commune. Or, le taux de pénétration en ville, par La Maladière, Vennes ou Rumine, continuerait de croître. C’est ainsi que son parti veut relancer sa proposition de périphérique urbain rejetée en 2019 par le Conseil communal : « Afin de concilier les besoins des utilisateurs des réseaux routiers et des habitants des centres urbains, une modification de la conception du réseau routier lausannois s’impose. »
L’idée devrait être cette fois directement soumise au peuple, sous la forme d’une initiative communale instaurant une hiérarchisation du réseau routier urbain. Intitulée « Pour un centre ville
apaisé et accessible à toutes et tous ! », cette initiative préconise la délimitation d’un hypercentre essentiellement piétonnier, entouré d’une « petite ceinture » (Bellefontaine, Gare, Ruchonnet, Chauderon, César-Roux) où la vitesse maximale ne serait pas abaissée à 30 km/h. Ce mini-périphérique serait destiné à permettre de circuler sans trop d’encombres et à utiliser les parkings existants autour de la zone ainsi définie. Il constituerait une couronne reliée par plusieurs axes favorisant l’entrée et la sortie rapides de la ville afin de garantir une desserte efficace du centre-ville. Les récentes velléités de ne pas rouvrir le Grand-Pont au trafic après la fin des travaux pourraient aller dans ce sens. Mais il y a comme un os. La Municipalité doute de la légalité d’une telle proposition au peuple. Elle a demandé un avis de droit à Thierry Tanquerel, professeur honoraire de l’Université de Genève. Selon cette analyse, l’initiative serait irrecevable, dans la mesure où elle
concernerait les compétences en matière de hiérarchie du réseau, les limitations de vitesse relevant de la seule Municipalité et non du Conseil communal comme ce devrait être le cas pour valider une initiative communale. Pour autant, tout ne serait pas définitivement joué. Cette réponse ne satisfait pas le PLR, lequel n’exclut pas de soumettre la question à la Cour constitutionnelle.

« Apprentis sorciers »
Chacun s’accorde à constater que l’organisation de la circulation à l’intérieur de la ville de Lausanne est depuis toujours un casse-tête. Difficile de ne pas jouer les « apprentis sorciers », pour reprendre l’expression d’un chauffeur de taxi courroucé. De fait, toute décision changeant la donne, si minime qu’elle apparaisse, peut apporter des conséquences allant à l’encontre de l’objectif visé. Ainsi en est-il allé de la modification par la Municipalité de plusieurs carrefours et présélections. Comme l’interdiction de tourner à gauche sur la rue Beau-Séjour en venant de l’avenue Juste-Olivier, qui a mis le feu aux poudres à la suite d’un article paru dans Lausanne Cités. Les taxis empêchés de prendre cet itinéraire se voyaient dans l’obligation de facturer jusqu’au double d’une course habituelle pour arriver à la rue Beau-Séjour. D’autres interdictions du même type généraient, elles aussi, des allongements de parcours, une densification du trafic sur certains axes, donc des augmentations de pollution. Une interpellation du PLR a prié la Municipalité de s’expliquer sur ce point, notamment sur la base de quelle étude d’impact elle a pris de telles décisions :
« Plusieurs questions se posent et notamment celle de savoir si l’Exécutif, au lieu de viser une diminution du trafic routier, ne cherche en réalité pas à adopter des mesures chicanières pour les automobilistes. » Et de prendre pour autre exemple la fermeture de la place du Nord à la circulation, conduisant le trafic de transit depuis la rue Saint-Martin vers les hauts de Lausanne à se déplacer pour une partie à la rue Cité-Devant sans être découragé pour autant. La Ville a répondu en mars de manière considérée mais plutôt évasive, indiquant qu’elle avait eu pour cette étude « recours soit aux compétences internes, soit à des bureaux spécialisés ». Considérant que ni les unes ni les autres n’avaient pris en compte tous les effets pervers de telles restrictions, la Municipalité a finalement partiellement fait marche arrière dans l’affaire de Beau-Séjour, introduisant une exception pour les taxis. D’autres demandes du même type devraient suivre.

Vision bucolique d’un axe routier interdit au trafic motorisé, comme c’est le cas cette année du tronçon quai d’Ouchy – quai de Belgique du samedi à 10 h au dimanche à 20 h. DR

Au feu les SUV…
Cette histoire n’est rien en regard de décisions autrement plus radicales prises par le Conseil communal. En février dernier, après un débat particulièrement animé, il a voté trois résolutions demandant à la Municipalité d’engager des actions contre l’utilisation de SUV en ville de Lausanne notamment. Bien que non contraignantes, deux d’entre elles pourraient bien déboucher sur des mesures concrètes, la troisième n’étant qu’un soutien à une motion déposée au Conseil national pour l’interdiction d’importation en Suisse de tels véhicules neufs d’un poids supérieur à 2 t.
La première résolution lausannoise prie la Ville d’organiser une campagne d’information sur les risques liés aux SUV, 4×4 et autres Crossover de plus de 1,5 t. Sa mise en oeuvre ne devrait poser aucune difficulté. La deuxième résolution est plus délicate à concrétiser, tant sur le plan technique que juridique. Elle demande une différenciation du prix du macaron selon les catégories de véhicules, et par définition ne concernerait que les automobilistes résidant dans la commune. Dans sa réponse à une interpellation déposée en 2019 pour bannir les SUV, la Municipalité avait justement rappelé combien il est difficile de définir ce type de véhicules, lesquels sont dans les faits fort éloignés de la caricature de monstrueux 4×4 à l’américaine hauts sur pattes, ornant une pétition signée par 1200 personnes seulement.

Du baume sur la plaie
Au-delà de toutes ces restrictions, réelles ou imaginaires, le stationnement reste la corde sensible de l’accessibilité à Lausanne lorsqu’on s’y rend en voiture autant par nécessité que par commodité. Les commerçants locaux sont les premiers à en pâtir. Cela tout particulièrement en cette période de grands chantiers sur la voie publique, impliquant la fermeture d’axes routiers importants. Deux petites faveurs récentes devraient quelque peu contribuer à détendre l’atmosphère. Afin d’inciter les automobilistes venus d’ailleurs à laisser leur véhicule aux portes de la ville et utiliser les transports publics, un nouveau tarif plus avantageux a été mis en oeuvre dans les six P+R de la ville. Le samedi, pour 9.90 francs (8.90 francs avec le demi-tarif), les usagers peuvent y garer leur véhicule toute la journée et se déplacer ensuite gratuitement avec la carte journalière Mobilis incluse dans ce prix. Enfin, dans un ordre d’idées légèrement différent, le parking de Vennes est mis à contribution comme alternative au macaron pour les résidents, sous la forme d’un abonnement annuel à 990 francs (abonnement Mobilis non inclus).

 

Le P+R de Vennes mobilisé pour à la fois atténuer le manque de places macarons et convaincre les visiteurs à y laisser le samedi leur voiture pour pas cher. © Hugues Siegenthaler

 

Les velléités de généralisation à l’entier de la journée du 30 km/h agitent les esprits. © Hugues Siegenthaler