L’HÔTELLERIE SALUE LA LOI CONTRE LA «CONCURRENCE SAUVAGE» D’AIRBNB

La mise à disposition de logements sur Airbnb et sur les plateformes communautaires similaires est désormais réglementée et bridée sur le territoire vaudois. Faisant écho à deux postulats déposés il y a cinq ans, l’un par la droite, l’autre par la gauche, la Loi sur l’exercice des activités économiques (LEAE) ainsi que le Règlement d’application de la loi vaudoise sur la préservation et la promotion du parc locatif (RLPPPL) viennent d’être modifiés par des dispositions contraignantes. La première disposition est essentiellement destinée à assurer l’équité dans la perception de la taxe de séjour. La seconde est censée contribuer à la préservation du parc locatif ordinaire. D’une part, les communes devront tenir un registre des loueurs, d’autre part, la durée maximale de location temporaire est limitée à 90 jours par an.

« C’est une très bonne chose, se réjouit Stefano Brunetti Imfeld, président de l’Association des Hôteliers de Lausanne et Environs. Cela dit, le canton ne fait que se mettre un peu aux normes. D’autres villes ou pays l’ont fait avant lui. » Il souligne que c’est sous l’impulsion de Lausanne et de Montreux, les régions les plus présentes sur Airbnb, qu’un accord-cadre a été signé entre Airbnb pour l’Europe et l’Union des Communes Vaudoises afin de percevoir la taxe de séjour pour la redistribuer ensuite dans la commune où les personnes ont été logées. « Officialiser un peu plus ce type d’économie permet d’obtenir un peu plus d’équité, souligne-t-il, sachant ce que coûte le tourisme à la communauté en infrastructures notamment. » Et de rappeler que l’argent de la taxe de séjour est souvent utilisé pour soutenir des événements qui contribuent à développer une offre culturelle importante pour la région. Président de l’Association romande des hôteliers, Jean-Jacques Gauer salue des dispositions destinées à s’assurer que les gens qui pratiquent cette activité de plateforme paient autant de taxes que les autres qui sont des professionnels et qui ont la charge d’une infrastructure. Pour autant, il doute que ces dispositions puissent enrayer la problématique de cette concurrence « sauvage » à l’hôtellerie traditionnelle. « On n’arrivera sans doute jamais à endiguer cela. Vous ne pouvez pas interdire à quelqu’un d’avoir une chambre et de la louer. C’est un phénomène de notre époque. Pour une destination par exemple comme Paris, il y a davantage d’unités Airbnb que de chambres d’hôtel ! »
L’Etat a mandaté la plateforme indépendante Inside Airbnb afin de produire les données quantitatives de l’utilisation d’Airbnb dans le canton de Vaud qui règne en maître quasi absolu sur les plateformes de réservation de logements temporaires. La cartographie interactive élaborée par cette plateforme non commerciale permet de consulter le nombre d’objets disponibles sur Airbnb pour chaque commune vaudoise et d’activer divers paramètres en vue d’estimer la fréquence et la durée de location ou sous-location ou encore le prix moyen par nuitée. Elle peut être consultée via le lien suivant : http://insideairbnb.com/vaud. Elle a éclairé le législateur en procurant une vue d’ensemble de la situation sur le territoire vaudois au 26 novembre 2018.

 

Le site indépendant insideairbnb.com répertorie les logements entiers (en rouge) et les chambres privées (en vert) à disposition en décembre 2021 dans la région lausannoise. DR

 

Registres communaux
La législation vaudoise a donc été modifiée afin, d’une part, d’éviter une distorsion de concurrence entre des chambres d’hôtes louées via des plateformes communautaires et l’hôtellerie traditionnelle et, d’autre part, d’éviter une soustraction des appartements au marché du logement. C’est ainsi que la Loi sur l’exercice des activités économiques (LEAE) est notamment complétée par un article 74c à la teneur suivante : « al. 1. La personne physique ou morale qui met en location ou en sous-location un hébergement s’annonce au moins dix jours avant la première nuitée auprès de la commune du lieu de situation du logement et lui communique les données nécessaires à la tenue du Registre des loueurs. » Puis : « al. 2. Le loueur tient un registre permettant le contrôle des personnes hébergées (copie d’une pièce d’identité ou d’un passeport) et mentionnant les périodes précises d’hébergement (dates d’arrivée et de départ). » Enfin : « al. 3. Le loueur remet chaque mois une copie du registre à l’autorité communale compétente. » Ces dispositions sont destinées à encadrer officiellement cette activité notamment s’agissant de la déclaration au fisc des revenus qu’elle génère.

« C’est une très bonne chose. Officialiser un peu plus ce type d’économie permet d’obtenir un peu plus d’équité. »
Stefano Brunetti Imfeld, président de l’Association des Hôteliers de Lausanne et Environs

Limitation de la durée
Dans la foulée, le Règlement d’application de la loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (RLPPPL) est, quant à lui, complété par une disposition stipulant qu’une sous-location totale ou partielle d’un logement entraîne un changement d’affectation lorsqu’elle excède une durée de 90 jours par année. Et que, si passé ce délai, le loueur n’a pas signalé son activité afin d’obtenir une autorisation administrative, il encourt une interdiction de ce mode de location ainsi qu’une amende pouvant aller jusqu’à 60 000 francs, sanction en plus de laquelle le préfet peut prononcer une créance compensatrice en faveur de l’Etat.
Et de préciser que « le changement d’affectation consiste en une modification, même en l’absence de travaux, ayant pour effet de remplacer des logements loués par des locaux destinés à un autre usage que l’habitation ». Cette limite de 90 jours par an et par objet a été fixée à la suite d’une consultation des communes vaudoises. Dans les faits, elle concerne environ un objet sur cinq actuellement loué au total plus de 90 jours par année. Le législateur a considéré que cette limitation fait sens notamment parce qu’elle correspond à la durée de vacances scolaires ou encore à celle d’un visa touristique. D’autres villes, en Suisse et dans le monde, ont déjà procédé de la sorte. A titre d’exemple, cette durée est aussi de 90 jours à Genève. Et si elle est de 120 jours à Paris, elle n’est que de 31 jours par année au Québec, et elle est passée de 60 à 30 jours à Amsterdam.

Nouveaux horizons
En termes de tourisme au sens large, le rapport du Conseil d’Etat considère qu’Airbnb « permet d’attirer de nouveaux profils de touristes, qui ne feraient peut-être pas le déplacement vers la Suisse en l’absence d’une telle offre. Ainsi, des visiteurs au budget plus restreint se voient ouvrir des horizons qu’ils pensaient alors inatteignables. Par ailleurs, certains touristes peuvent être amenés à prolonger la durée de leur séjour ou à consacrer les moyens économisés sur leur logement à d’autres types de dépenses. » Enfin, il est rappelé qu’Airbnb a également ouvert un marché de niche à des agences dites « intermédiaires », lesquelles gèrent des annonces de particuliers et leur offrent des solutions clés en main de conciergerie, nettoyage, décoration ou ameublement. « L’analyse des données extraites par « Inside Airbnb » a permis d’en identifier quatre, qui pour la plupart se désignent comme ‹ Airbnb Management Solution ›. » Et d’en déduire que « finalement, la plateforme d’Airbnb offre également un canal de distribution supplémentaire à des hôtels classiques et Bed & Breakfast. »

Ce n’est pas le fond de la problématique de la location par des privés qui pose problème, mais la forme. © Shutterstock

LE POIDS DES CHIFFRES

Il apparaît sans surprise que les régions de Lausanne et de Montreux sont les principales concernées. C’est ici que se concentrent le plus d’objets disponibles sur le site d’Airbnb. Plus d’un tiers des logements offerts sur cette plateforme se trouvent dans le district de Lausanne, et un cinquième environ dans celui de la Riviera–Pays-d’Enhaut. C’est néanmoins dans le district de l’Ouest lausannois que la croissance apparaît la plus marquée.
Au mois de novembre 2018, le nombre total d’annonces sur la plateforme Airbnb dans le canton de Vaud s’élevait à 3672, tous types de logements confondus (logement entier, chambre individuelle, chambre partagée).
Les logements entiers représentaient 65 % de l’offre globale. Il ressortait par ailleurs que ces 3672 dans le canton de Vaud étaient gérés par 2649 loueurs différents, dont 391 pouvaient être considérés comme des multi-loueurs. Huit agences immobilières ou de location d’appartements meublés utilisant Airbnb ont pu être identifiés, dont Interhome, qui appartient au groupe Hotelplan, société affiliée à Migros. Ces chiffres sont en progression continue. Parmi les derniers disponibles, ceux d’avril 2020 faisaient état de 4801 annonces sur Airbnb sur le territoire vaudois.