Le métier de soudeur figure parmi les professions aujourd’hui peu attractives aux yeux des jeunes. Il est pourtant indispensable à la réalisation des infrastructures clés de la transition énergétique. DR

MARC MULLER, ACCOMPAGNATEUR DANS LA TRANSITION POSITIVE

Marc Muller, ingénieur en énergie, diplômé Executive MBA, fondateur d’Impact Living, entreprise active depuis cinq ans dans la transition énergétique positive, sait capter l’attention sur l’urgence à adopter les changements qui permettront de limiter les dégâts dans un monde où la matière et l’énergie deviennent moins abondantes. Economie Région Lausanne l’avait invité à son assemblée générale pour exposer son analyse et les solutions qu’il préconise, notamment à travers une académie de la transition destinée à aider à combler le déficit de professionnels dans les secteurs clés de demain. Interview.

Impact Living accompagne les privés, les entreprises et les collectivités publiques dans leur transition énergétique. Marc Muller, charismatique fondateur de cette entreprise romande en pleine expansion, ne laisse personne indifférent et propose des solutions inédites.

Votre projet d’académie de la transition, destinée à aider à combler le déficit en ressources humaines dans des métiers aujourd’hui peu attractifs, mais indispensables à la concrétisation des infrastructures clés de la transition énergétique, est particulièrement rassembleur. Du moins en théorie. Quels premiers enseignements en tirez-vous ?
La majorité des professionnels sous-estime le gap de connaissances à accumuler pour réussir à développer de nouveaux produits et services compatibles aux enjeux. Lorsqu’ils s’en rendent compte, ils ne veulent plus rejoindre les métiers de la transition car cela demande trop d’efforts et de sacrifices. Par contre, ceux qui arrivent au bout sont hyper-heureux et sont de véritables machines de guerre de la transition ! Nous réussissons à former 5-6 personnes par an avec nos outils, mais il faudrait en former 50 à 60 000 par an rien qu’en Suisse romande.

Le principe de cette académie de la transition est bien décrit dans une motion déposée en 2020 devant le Grand Conseil vaudois, qui l’a renvoyée devant une commission. Or, on sait le temps qui peut s’écouler avant d’avoir une prise de position ou une suggestion du Conseil d’Etat. Pensez-vous qu’à terme, la société ne pourra plus faire l’économie de s’engager dans un tel projet ?
Oui, j’ai eu le plaisir de suggérer cette idée à des députés et ils ont suivi. C’est excellent. Nous avons globalement des personnes actives non formées aux enjeux et ne disposant pas des bons outils. Pour réussir à nous mettre en transition (et donc à l’abri des pénuries à venir), il faudrait qu’au moins un quart de la population active change de métier dans les cinq années à venir. Or, se former coûte, demande des efforts considérables et de lourds sacrifices. L’économie et les individus ne peuvent porter seuls ce fardeau. L’idée de couper la poire en trois entre l’employé, l’employeur et l’Etat est tout à fait proportionnée.

Les chefs d’entreprise ont aujourd’hui plus qu’hier le nez dans le guidon et naviguent à vue. Comment leur faire relever la tête autrement que par la contrainte ?
La contrainte n’arrivera pas car la population n’a pas compris, ou pas envie de comprendre, la situation. Cela implique que les politiciens n’oseront pas prendre de mesures allant contre leur électorat. Au final, à cause de cela, l’économie ne recevra pas, pour l’instant, les règles qu’il s’agirait pourtant de mettre en place. C’est donc la pénurie et l’instabilité des prix qui en découlent qui la feront bouger. Mais il faut être clair sur ce que cela signifie : une grande partie des PME ne s’adaptera pas à temps et fera faillite. Ce sera le prix à payer pour notre impréparation. De l’autre côté, le besoin en main-d’oeuvre est immense et le plein-emploi est assuré. Il faut juste avoir en tête qu’un employé de bureau bien tranquille dans le monde d’avant pourrait se retrouver projeté sur un chantier à poser des panneaux solaires pour 1500 francs de moins par mois du jour au lendemain.

Partagez-vous le discours ambiant centré sur la culpabilisation et les prédictions apocalyptiques ?
Cette question est un parti-pris étonnant. Personnellement, je n’écoute pas les discours, je lis des rapports et analyse des faits. Que disent les faits ? La population suisse est parmi celles ayant l’impact environnemental global le plus élevé au monde. Par ailleurs, nous sortons d’une époque où la matière et l’énergie ont été abondantes pour entrer dans une ère où la capacité des écosystèmes à nous fournir des services est en baisse. En même temps, les ressources vont se raréfier. Que cela plaise ou non, nous allons vers une contraction des flux et une baisse nette du pouvoir d’achat.

Chacun ou presque s’accorde à considérer que la situation est bloquée. Partagez-vous cette opinion ?
Oui, car les Suisses ont pris l’habitude de péter dans la soie et de considérer que tout leur est dû. Cela a été possible car nous avons tiré le maximum du processus de mondialisation en vendant notamment des services, des médicaments et des montres à l’étranger, puis en achetant en retour presque tous nos produits de consommation en Asie. Cela nous a donné l’habitude de gagner beaucoup avec peu d’efforts, mais surtout a ancré la croyance que cela peut se perpétuer à l’infini. Or, ce monde fonctionne uniquement avec une énergie abondante dans un environnement généreux. Ces deux hypothèses de base sont révolues, mais tant de citoyens, tant de politiciens ainsi que la majorité des acteurs économiques ne l’ont pas encore compris. En conséquence, nous ne prenons pas les mesures qu’il faudrait pour nous assurer de la résilience collective à moyen terme. Ainsi, ceux qui veulent bouger se retrouvent dans des blocages administratifs, idéologiques ou de manque de compétences techniques flagrant et se sentent, à raison, bloqués.

Le risque est de dire que c’est la faute à tout le monde, donc… à personne. Que fait-on tout faux ?
Nous n’avons collectivement pas saisi l’ampleur du chantier qui nous attend. C’est comme si nous attaquions le percement du tunnel du Gothard avec une petite cuillère en pensant tous que ça va fonctionner. Puis en décernant des prix de durabilité à celui qui trie les cailloux au pied de celui qui creuse à la main.

 

« La majorité des professionnels sous-estime le gap de connaissances à accumuler. »

Marc Muller,
fondateur d’Impact Living