LA RÉALISATION D’EOLJORAT SUD DEVIENT URGENTE

À l’heure du risque de pénurie d’électricité et de la flambée du kWh, le projet de parc éolien Eoljorat Sud illustre la lourdeur administrative dans la réalisation d’installations planifiées de longue date. Le rejet ce printemps par le Tribunal fédéral du recours contre le Plan partiel d’affectation (PPA) pour l’implantation de huit éoliennes sur territoire lausannois donne certes le feu vert à ce projet ambitieux. Mais il y a loin encore de la coupe aux lèvres. Si la pertinence du choix du site est désormais acquise et indiscutable, reste l’étape des mises à l’enquête et d’obtention des permis de construire. Des « formalités » qui devront être accompagnées d’un deuxième rapport d’impact et d’études complémentaires. Deux années de chantier seront alors nécessaires avant une mise en exploitation pour une trentaine d’années, espérée à l’horizon 2026. Ces huit éoliennes devraient alors fournir de quoi alimenter plus de 20 000 ménages. Un pas de géant pour la production d’énergie renouvelable à l’échelle régionale, mais minuscule au plan national étant donné le retard pris par la Suisse dans ce domaine.

« L’intérêt public important, national, à la production d’énergie renouvelable justifie l’implantation prévue pour le parc éolien litigieux ». Le Tribunal fédéral a confirmé en ces termes une position déjà adoptée face à des recours similaires contre la réalisation de parcs éoliens dans le Canton de Vaud ou ailleurs. Les huit hélices géantes du projet Eoljorat Sud seront donc bel et bien érigées dans des prés, pâturages et clairières du Jorat sur territoire de la commune de Lausanne. Pour en arriver enfin là, il aura fallu quatorze années de procédures et de recours depuis l’acceptation en 2005 par le Conseil communal du PPA régissant l’affectation de ce territoire à la production d’énergie renouvelable. Quatorze années qui ne sont pour autant pas un record. À Sainte-Croix, Romande Energie a dû affronter plus de vingt ans de blocages avant que ne puisse commencer la construction, sous haute surveillance, des six machines du premier parc éolien du Canton de Vaud.

De la coupe aux lèvres…
Au terme de vingt-six pages de considérants particulièrement documentés, la Haute-Cour a donc rejeté en mars dernier les griefs formulés par la Commune de Cugy et une dizaine de recourants de la région, conseillés par l’ancien Conseiller d’Etat Pierre Chiffelle redevenu avocat.
Reste avant les premiers coups de pelleteuses et échafaudages à parcourir sans heurts les étapes de mise à l’enquête en vue des permis de construire pour chacune des éoliennes. Des recours jusqu’à la plus haute instance sont évidemment possibles à ce stade, mais on doit faire confiance aux parties pour convenir de solutions permettant d’éviter de différer un début d’exploitation espéré à l’horizon 2026. Le Tribunal fédéral relève cependant que si les possibilités d’optimisation ont certes été examinées, « elles devront, le cas échéant, être affinées et prises en compte dans le cadre de la procédure ultérieure d’autorisation de construire ». Par exemple, devra être décrit précisément au niveau de la demande de permis de construire le système d’arrêt immédiat des éoliennes lors de fortes migrations d’oiseaux ou de risque de collision avec des chauves-souris.

Huit géantes
C’est en altitude, de préférence sur les crêtes et les sommets, que le vent dominant souffle le plus fort. Or c’est peine perdue de convaincre la population d’y construire ici des éoliennes en raison de l’atteinte au paysage. On les érige donc en plaine, en les faisant dès lors monter le plus haut possible afin de capter un maximum de souffle. Un rapport d’impact rappelle en effet que la production d’énergie éolienne est fonction essentiellement de deux critères : « elle est proportionnelle au carré de la surface balayée par les pales et au cube de la vitesse du vent, qui augmente avec la distance du sol. Cela signifie par exemple que si l’on double la surface balayée en prenant une éolienne au pales plus grandes, elle produira quatre fois plus d’énergie. Et si la vitesse du vent exploitée double, elle produira huit fois plus d’énergie. Si l’on combine les deux facteurs : une éolienne balayant une surface deux fois plus grande exploitant des vitesses de vent deux fois plus importantes produira 32 fois plus
d’énergie ».
Raison pour laquelle les huit éoliennes de Jorat-Sud ont des mensurations de géantes. Le PPA fixe en effet leur hauteur maximale hors tout, c’est-à-dire au point le plus haut de l’extrémité des pales, à 210 mètres. Il s’agit en effet de satisfaire à une directive du Plan directeur cantonal, selon lequel la vitesse moyenne des vents à la hauteur des moyeux doit être d’au moins 5 m/s pour chaque machine. Ce chiffre est tout juste dépassé dans la région selon l’atlas des vents de 2019. Eoljorat Sud sera réalisé par SI-Ren SA, société d’investissement dans les énergies renouvelables créée en 2009 par la Ville de Lausanne, détenue à 100% par la commune. Concrètement, il est prévu d’implanter sur ce site cinq éoliennes d’une puissance de 5 MW et trois de 7,5 MW. Le choix définitif du matériel interviendra ultérieurement, à la suite d’un appel d’offres selon les règles des marchés publics.
Deux modèles d’éoliennes ont toutefois été considérés dans le cadre de la planification du projet. Ce sont les systèmes de marque allemande Enercon E-126 d’une puissance de 7,5 MW, et Enercon E-101 d’une puissance de 3 MW. La première a une hauteur de moyeu de 135 mètres et un rotor de 127 mètres de diamètre, la seconde un moyeu de 149 mètres et un rotor de 101 mètres de diamètre. À titre de comparaison, s’agissant des dimensions, les éoliennes de la Plaine du Rhône en Valais ont toutes des mâts de 98 mètres et une hauteur en bout de pâle de 134 mètres (Colonges), 139 mètres (Martigny) et 150 mètres (Charrat).
Nerf de la guerre contre les éoliennes : le bruit qu’elles génèrent. Aucune ne peut dépasser le seuil de 104 dB fixé par l’Ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit. Mais attention, il s’agit là du bruit mesurable à proximité immédiate de la turbine. La nuisance sonore ressentie sur le terrain dépend quant à elle évidemment de la configuration des lieux, des conditions de fonctionnement et bien sûr de la distance à l’éolienne. On estime ainsi qu’à 200 mètres, le bruit est de l’ordre de grandeur de celui que ferait une pluie. Même les deux éoliennes les plus critiques de nuit sur ce point, celles de Sainte-Catherine (le refuge de la SPA est à 300 mètres) et de Mauvernay (l’ancienne école du Bois-Clos est à 680 mètres), ne devraient pas être bridées. Enfin, la production annuelle d’énergie garantie se situe dans une fourchette entre 55 et 58 GWh, tenant compte des arrêts sporadiques d’une dizaine de jours par an. Si ce chiffre est sensiblement inférieur à celui de 80 GWh arrêté dans un premier temps, le Tribunal fédéral rappelle que cela résulte pour partie des progrès technologiques en matière de modélisation, non pas d’une réduction du potentiel éolien du site.

Production en kilowattheures par habitant en 2021, sélection d’une comparaison entre 28 pays européens DR

 

EMPÊTRÉS DANS LES PROCÉDURES

La Suisse peine à développer la production d’électricité tirée de l’éolien, essentiellement en raison de la complexité et du nombre des procédures. On ne dénombre qu’une quarantaine de turbines éoliennes en fonction sur l’ensemble du territoire national. Mais les choses pourraient bien bouger. La Confédération a mis en consultation ce printemps une suggestion visant à accélérer la mise en oeuvre d’installations. Sans pour autant supprimer le droit de recours, les projets ne devraient plus obtenir qu’une seule autorisation regroupant plan d’affection et permis de construire. Le Conseil d’Etat vaudois, dans ses réponses en février dernier à des questions du député Marc-Olivier Buffat sur ce thème, a rappelé que depuis 2018, la Loi cantonale sur l’aménagement du territoire (LATC) permet déjà ce regroupement de procédures. Son article 28 stipule en effet que, depuis cette date, « le plan d’affectation, ou une partie de celui-ci, équivaut à un permis de construire ou à une autorisation préalable d’implantation lorsqu’il contient les éléments d’une demande de permis de construire ou d’une demande préalable d’implantation ». Dire que la production d’énergie renouvelable éolienne et photovoltaïque dans notre pays n’est pas brillante est un doux euphémisme. La Fondation Suisse de l’Energie (SES) a publié cet été une comparaison de la situation de 2021 avec les 27 états de l’Union européenne qui la place clairement en queue de peloton. Selon cette étude, la Suisse occupe le 23e rang, juste derrière la Bulgarie, avec certes une production l’an passé de 356 kWh photovoltaïque par habitant, soit 5,3% des besoins, mais 17 kWh d’énergie éolienne seulement, soit 0,3% des besoins. Le Danemark, en tête de ce classement, totalise 2990 kWh renouvelables par habitant, soit 53,2% de ses besoins en énergie électrique. S’il n’est pas étonnant que les pays jouissant d’une large zone littorale soient les mieux placés pour faire tourner des éoliennes, on observe toutefois qu’en Autriche, 10,4% des besoins en électricité sont fournis par l’éolien.

 

COURANTS CONTRAIRES

Le spectre d’un rationnement de l’électricité, voire carrément de coupures, hante les débats sur la politique énergétique, notamment en matière de mobilité électrique en raison d’un message quelque peu contradictoire. Avec d’une part les encouragements politiques et financiers à passer à l’électrique, et d’autre part les injonctions à économiser le courant sous toutes ses formes. L’optimisme commande de tabler sur une optimisation de la consommation des voitures électriques d’ici quelques années, le pessimisme prédit une diminution de l’utilisation dictée par des coûts explosifs.
Fin 2021, la part en Suisse des voitures hybrides et 100% électriques représentait 23% des nouvelles immatriculations. Une proportion croissante qui, selon le DETEC (Département fédéral de l’environnement, des transports et de l’énergie), devrait atteindre 50% d’ici 2025 déjà, dont 38% de pures électriques d’après les prévisions de l’association des importateurs AutoSuisse. En comptant une consommation moyenne de 18 kWh pour 100 km, il a été calculé qu’à ce rythme, cette transition engendrerait dans moins de dix ans une augmentation de 3,75 TWh, soit 6% de la consommation totale d’électricité en Suisse en 2021. Selon l’Institut Paul Scherer, la conversion entière à l’électricité du parc automobile en Suisse se traduirait par une augmentation de 20 à 25% des besoins d’électricité. Pour l’heure, les préoccupations sont plus terre à terre. C’est l’insuffisance du nombre de bornes publiques de recharge qui est préoccupante. Encore faut-il que le réseau puisse en supporter davantage, ce qui pourrait poser problème actuellement à Lausanne, ainsi que l’indiquait récemment le Municipal Xavier Company.