Le réaménagement radical des places de la Riponne et du Tunnel, deux espaces publics lausannois majeurs considérés comme des ratés urbanistiques, se précise, quand bien même les grands travaux ne sont pas pour demain. Casse-tête récurrent de l’urbanisme lausannois, ces deux lieux chargés d’Histoire n’ont pas fini de faire couler de l’encre. Les transformations envisagées par la Ville sont ambitieuses. Elles devront cependant tenir compte du facteur humain, sous peine de risquer toucher la plaque à moitié, comme ce fut le cas pour la piétonnisation de la Place de la Sallaz, dont une enquête de satisfaction a montré que moins de la moitié des personnes sondées en retiraient une impression positive.
En novembre dernier, le Conseil communal de Lausanne a voté d’une seule et même voix un crédit de 5,8 millions de francs pour le réaménagement de la place de la Riponne. Ce montant important est destiné à financer les études d’un projet par ailleurs âprement discuté et disputé.
Les premiers coups de trax ne sont donc pas pour demain. Quant à une fin des travaux, elle est prudemment prévue pour après 2030. De fait, ce lieu emblématique de la capitale vaudoise n’a pas fini d’alimenter les passions. Et pas seulement sur les thèmes et les fixations qui lui collent aujourd’hui à la peau, comme la quasi-mainmise des marginaux et des toxicomanes.
Une vision pour la Riponne
Depuis le début des années septante, ce ne sont pas les réflexions et les «projets de projets» qui manquent pour tenter de mettre tout le monde d’accord sur le fond comme sur la forme. Cela n’a cependant encore jamais débouché sur des réalisations répondant pleinement aux enjeux et attentes des uns et des autres.
Cette fois, les intentions de la Ville apparaissent des plus louables, ainsi qu’elle les a exposées pour obtenir ces 5,8 millions. Elle ambitionne de faire de la Riponne: «Une belle et grande place piétonne attractive, libérée du trafic motorisé; une place réaménagée et adaptée aux changements climatiques, qui offre une place importante au végétal et aux solutions de rafraîchissement de l’espace public (albédo, etc.); une place polyvalente, destinée autant à la vie quotidienne (marché, détente, loisirs, etc.) qu’à l’organisation de grands événements; une place ‹tenue› et rendue plus vivante par un nouveau front Ouest actif (couvrant l’actuelle entrée du parking face au palais de Rumine); une place, enfin, mieux connectée avec l’ensemble du centre-ville, offrant une excellente accessibilité en mobilité active pour tous les publics. » Tout est dans tout. Reste à passer de l’intention aux actes. A la suite d’un concours international d’idées lancé en 2019 sur le remaniement conjoint de cette place de sa quasi voisine la place du Tunnel, la Ville a retenu parmi une trentaine de projets celui de l’Espagnole Silvia Gonzales Porqueres. Intitulé «in-between», sa vision propose une Riponne à l’avenir libérée des voitures, plutôt minérale, intégrant un marché couvert, transformant l’avenue de l’Université en un espace piéton, et déplaçant à l’ouest de la place l’entrée du parking sous-terrain. Tout porte à croire qu’il y aura loin de cette image directrice à ce qui pourra véritablement être mis en œuvre.
Bâtiment «maudit»
Premier souci. Modifier les accès du parking en les déplaçant depuis la place sur la rue du Tunnel apparaît légèrement irréaliste. Il faudrait pour cela entreprendre des travaux compliqués donc coûteux sur ce parking, lequel est au bénéfice d’une concession jusqu’en 2059. C’est certes faisable, mais cela impliquerait une mise aux normes actuelles de toute l’installation, avec des interventions se chiffrant en millions de francs. Une solution consisterait toutefois à intégrer ces accès dans un nouveau bâtiment côté rue du Tunnel.
En lieu et place d’un bâtiment de la Ville actuellement «maudit» depuis la fermeture du fameux restaurant Mövenpick en 1998, l’installation éphémère d’un restaurant asiatique, puis la fin du cinéma Romandie. A noter que le projet dit Mercador, concept élu par la Ville de multi-restaurants qui auraient dû s’ouvrir ici cette année sur dans quelque 1300 m2 , a été abandonné, en raison notamment des dépenses considérables qu’aurait nécessité une mise aux normes et de complexité administrative.
Les habitants ont été largement associés dans les réflexions menées à ce jour sur l’avenir de la place. Une démarche participative qui devrait permettre de ne pas rééditer la déception ressentie après la piétonnisation de la place de la Sallaz. Deux ans après son inauguration en 2016, un sondage commandité par la Ville avait montré que moins de la moitié des personnes interrogées ressentaient une impression positive de ce lieu de passage très fréquenté, mais où on ne s’arrête guère.
Sortie du Tunnel?
Avec plus de deux ans de retard, en raison d’un recours rejeté en justice contre la suppression de 39 places de stationnement, les travaux de réaménagement transitoire de la Place du Tunnel ont commencé en ce début d’année. «La partie nord sera conçue pour accueillir des manifestations culturelles qui viendront animer le quartier, explique la Ville. Sur la partie sud de la place, des espaces de jeux et de détente seront aménagés et la végétalisation renforcée. L’objectif est de favoriser une ambiance familiale agréable et ludique.» Aménagement transitoire, car provisoire, en attendant le démarrage, à partir de la fin 2026, de la véritable transfiguration de ce vaste espace public, en accord avec le projet lauréat désigné en décembre dernier à la suite d’un concours d’idées audacieuses sinon prometteuses.
Intitulé Delta-Delta, le projet de réaménagement définitif a été choisi à l’issue d’un concours d’idées par un jury délibérant en public à Beaulieu. C’est l’équipe interdisciplinaire formée de VWA (Verzone, Woods Architectes), Willi Ingénieurs, Transitec, Schlaepfer-Capt et Impact-Concept qui l’a emporté à l’unanimité parmi trois finalistes sur neuf concurrents. Il s’agira bien sûr de concrétiser cette vision du futur de la place en tenant compte des contraintes financières, techniques et des imprévus qui ne manquent jamais de se manifester. Delta-Delta considère par exemple, en matière de mobilité, comme quasi acquise la fermeture de l’accès au parking de la Riponne par la place de la Riponne pour limiter
le trafic sur la branche sud de la place du Tunnel.
En substance, Delta-Delta propose deux grands espaces piétonniers, autour d’une réorganisation simplifiée des circulations garantissant néanmoins l’accessibilité au centre-ville. Le projet imagine un premier espace sur la partie nord de la place, multifonctionnel, qui met en valeur l’ancienne gare des tl, et un second au sud, aménagé autour d’une place d’eau. Tout cela ombragé par une végétalisation généreuse et comportant de des «jardins d’orage» destinés à optimalisation l’infiltration des eaux de pluie.
EMBLÉMATIQUE RIPONNE
La Place de la Riponne en a vu de toutes les couleurs au fil des ans. Née du comblement du vallon de la Louve, elle voit son premier aménagement en 1837, concrétisation du projet de l’architecte Henri Fraisse, lauréat d’un concours organisé par la Municipalité. L’idée consiste alors à centraliser ici les échanges ville-campagne. Un premier marché est organisé à la Riponne en 1840. Sa grande halle aux graines, la Grenette, inaugurée cette année-là, accueille de nombreuses fêtes et manifestations. La place devient emblématique de la capitale vaudoise lorsqu’est achevée la construction du Palais de Rumine, au début du XXe siècle. Puis l’Histoire s’accélère avec l’urbanisation croissante de Lausanne. La Grenette est démolie en 1933.
Dès la moitié du XXe siècle, l’essor de l’automobile fait de la place un vaste espace de stationnement à ciel ouvert. Cela jusqu’au début des années septante, lorsque est mis en service un garage-parking souterrain de 428 places, agrandi quatre ans plus tard pour accueillir désormais 1000 voitures, vaste parking aujourd’hui baptisé Inovil.
TUNNEL TÊTE DE LIGNE
La Place du Tunnel résulte de l’application du plan Pichard adopté en 1836 pour relier la route de Berne à celle de Genève. Elle émerge quelques années plus tard par le percement d’un tunnel sous la Barre et le comblement du vallon de la Louve. En 1863, elle accueille la foire du bétail. Elle devient l’une des grandes places lausannoises après la construction de la route du Mont. Ménageries, cirques, forains en font un lieu animé avec l’ouverture de plusieurs cafés et magasins.
En 1897 est construit l’immeuble du Café de Moudon. La place est lieu de débridée durant les jours de marché à la Riponne. Sa vocation se précise à l’aube du XXe siècle, lorsqu’est construite la ligne de tram de Cugy, puis jusqu’à Montheron. La Place du Tunnel est alors tête de réseau ferroviaire reliant la ville à la campagne. Les foires disparaissent. La place est réaménagée. Les tl construisent une nouvelle gare, qui devient celle de la boucle du Jorat. Le parking s’ouvre en 1974. La place n’a que peu changé depuis près d’un demi-siècle