
Le projet de nouvelle législation vaudoise sur l’énergie introduit pour la première fois dans un texte légal la notion de « sobriété énergétique ». Qualifié d’extrêmement ambitieux, il vise une réduction de 60 % des émissions à effet de serre d’ici 2030, puis la neutralité carbone vingt ans plus tard. Un vaste catalogue de de prescriptions en matière d’assainissement et d’équipement immobilier ainsi que de contrainte notamment en matière d’énergie électrique devrait permettre de tendre à ces objectifs. Cela devrait coûter près de 800 millions de francs d’argent public en une dizaine d’années, montant d’ores et déjà jugé insuffisant. Les cartes sont désormais en mains du Grand Conseil. La Ville de Lausanne n’a quant à elle pas attendu l’aboutissement de cette loi cantonale pour valider cette année son « Plan Lumière » restreignant notamment l’éclairage des vitrines des commerces et instaurant une « trame noire ».
La sobriété, c’est la pratique de la retenue, de la modération et du renoncement au superflu. La « sobriété énergétique », selon la définition du GIEC (Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat), est « un ensemble de mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, matériaux, sol et eau tout en garantissant le bien-être pour tous dans le respect des limites planétaires ». Tout un programme.
Fort de cette définition, le projet de nouvelle loi vaudoise sur l’énergie présenté par le Conseiller d’Etat écologiste Vassilis Venizelos érige la sobriété en vertu… sauf pour la longueur de cet acte législatif fort de 74 articles appelé à remplacer celui en vigueur qui fait le tour de la question en 43 articles. Il est vrai que le nouveau texte comporte un degré d’exhaustivité, sinon de précision, rarement atteint dans un projet de loi.
L’ampleur du défi…
Les mesures phares concerneraient essentiellement l’assainissement des bâtiments, la fin des chauffages à l’énergie fossile, les restrictions en matière d’éclairage ainsi que le développement massif du solaire. Toutes seraient assorties d’indispensables dérogations, dont les modalités et formalités devraient être clairement précisées dans les dispositions d’application.
À noter que pour l’une des plus importantes de ces mesures, l’assainissement des bâtiments énergivores, la version finale soumise au Grand Conseil fait preuve de clémence envers les petits propriétaires : jusqu’à 750 m2 de surface nécessitant un chauffage, les délais de mise aux normes est fixé en 2040, contre 2035 pour les grands propriétaires.
Les retombées économiques dans les secteurs de la construction, des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique sont estimées à 300 millions de francs. Seul bémol : la nécessité de former sans tarder bien davantage de main-d’œuvre qualifiée pour réaliser ces travaux. En matière d’emploi, plus précisément, une étude évalue que « la relocalisation sur le territoire vaudoise des filières énergétiques générerait la création de 3600 nouveaux postes locaux d’ici 2030. Il faut cependant compter une perte de 1’100 places de travail dans les filières non renouvelables, ce qui correspondrait tout de même à une augmentation nette de 2500 postes sur le territoire ».
Dérogations et délais
Passer de l’intention aux actes ne coulera pas de source. C’est le moins qu’on puisse dire. Dans son commentaire, le Conseil d’État précise que d’une manière générale, en dépit des subventionnements prévus, « l’application des normes du présent projet ne peut être imposée à un propriétaire ou à un destinataire de la législation que si elle est à la fois réalisable sur le plan technique et supportable sur le plan économique ». Et de préciser : « aucune mesure ne saurait être imposée si son destinataire ne se trouve pas en mesure de la mettre en œuvre d’un point de vue de l’économie privée. Certains cas ne permettent également pas, pour des raisons purement techniques, de réaliser ces mesures ». Il en va ainsi de l’installation du potentiel d’énergie solaire pour les bâtiments existants. Cette exigence s’appuie « sur l’opportunité que représente la rénovation d’une toiture ou la surélévation d’au moins un étage du bâtiment ». Mais attention : l’installation de panneaux serait requise pour tous à l’échéance de 2040.
S’agissant du chauffage, l’échéance est fixée à vingt ans pour les chauffages à énergie fossile posés entre 2020 et 2026. Pour le nouveaux bâtiments, seules seraient autorisées les installations fonctionnant exclusivement avec des énergies renouvelables ou issues de récupération de chaleur, ainsi que les pompes à chaleur ou le raccordement à un réseau de chauffage à distance alimenté au moins 60 % par des énergies renouvelables et à 70 % en cas de raccordement dès janvier 2035. Enfin, le montage et le renouvellement des chauffages électriques seraient bannis, sauf s’il s’agit d’installations provisoires ou de secours.
De fait, au cœur de la notion de « sobriété énergétique » prônée par ce projet de loi figure la consommation électrique. Avec cependant une large parenthèse pour la mobilité. L’obligation de mise en place d’équipement de recharge pour tout nouveau bâtiment d’habitation ou rénovation lourde serait en effet tempérée, dans la mesure où elle ne s’applique pas à l’installation des bornes proprement dites, mais seulement de l’équipement électrique nécessaire pour les alimenter en temps voulu.
S’agissant des restrictions de l’éclairage des bâtiments non résidentiels et de l’espace public, le projet de loi pérennise en partie les mesures décrétées par le Grand Conseil durant l’hiver 2022/2023 en raison des risques de pénurie. A savoir l’extinction au plus tard une heure après la fin de l’activité, et le rallumage au plus tôt une heure avant sa reprise de l’éclairage intérieur et extérieur, des vitrines des commerces et expositions, des enseignes et autres précédés de réclame lumineux, extérieurs, en toiture ou en façade ou en vitrine. Précision : « Par enseignes et autres procédés de réclame lumineux, on entend tous les moyens et installations graphiques, affiches, inscriptions, formes ou images, éclairés ou lumineux, destinés à attirer l’attention du public dans un but direct ou indirect de publicité, de promotions d’une idée ou d’une activité ou de propagande politique ou religieuse, tels que les enseignes commerciales, les totems, les écrans, les panneaux publicitaires, etc.. » Pourraient toutefois faire exceptions les zones éminemment touristiques largement fréquentées après la fin des activités commerciales, selon un périmètre clairement délimité par les communes.
Réactions mitigées
Aux yeux du PLR Vaud, « l’examen parlementaire de cette loi se fera à l’aune de l’équilibre nécessaire entre capacité d’investissement du canton et des propriétaires, disponibilité de main d’œuvre et priorités aux mesures les plus efficientes. Ces éléments exerceront une influence importante sur les délais que la loi propose pour réaliser ses objectifs ».
Le PLR réitère qu’il « défendra une loi plus explicite, ne laissant pas de doute sur son interprétation au niveau des règlements d’application. Il est essentiel que ces règlements comportent de réelles simplifications administratives, aussi bien pour les propriétaires que pour les communes chargées d’appliquer cette loi ».
Scepticisme du côté de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI Vaud). « Une question centrale qui se pose est de savoir qui va payer la facture de ces travaux, et dans quelle proportion ? Le coût total de tous les travaux prévus dans le projet de loi peut s’évaluer à plusieurs dizaines de milliards de francs suisses. Le Conseil d’État annonce des subventions limitées à 120 millions de francs par année, dont au moins 60 millions proviennent de la Confédération. Quant aux dizaines de milliards restants, les propriétaires et les locataires devront les prendre en charge. À l’heure de la stagnation, voire de la baisse des salaires réels, de la hausse des factures d’électricité, la population vaudoise est appelée à passer lourdement à la caisse. »
Si le texte qui sera prochainement débattu au Grand Conseil a été quelque peu adouci à l’issue de la phase de consultation, il devrait néanmoins donner lieu à un âpre débat et de nombreux amendements. De la précision des dispositions légales adoptées découleront en effet les modalités du futur règlement d’application qui sera élaboré par la Conseil d’État. Dans le meilleur des cas, c’est-à-dire sans un référendum qui entraînerait une votation populaire, cette nouvelle législation cantonale pourrait entrer en vigueur durant le premier semestre 2026.