Une vaste étude réalisée pour le compte de la Ville de Lausanne auprès des visiteurs réels et potentiels de son hypercentre quantifie notamment la baisse de fréquentation de la part des personnes domiciliées hors de la commune. Une part non négligeable des Vaudoises et Vaudois n’y viendraient même jamais, que ce soit pour des achats, la restauration, les loisirs, le sport ou la culture. Le défi est de taille, car plusieurs exemples à l’étranger montrent que cette tendance n’est pas une fatalité.
«Un automobiliste, ce n’est pas une voiture, c’est une personne qui se déplace», rappellent les auteurs de la grande enquête commandée par la Ville sur la fréquentation de son hypercentre et les motivations qui s’y rapportent. C’est l’un des enseignements de cette étude en trois volets conduite par «6t-bureau de recherche cabinet indépendant spécialisé dans l’analyse de la mobilité, du territoire et des modes de vie» ainsi que par l’institut de sondage M.I.S. Trend basé à Lausanne. But de l’exercice: comment et pourquoi se rend-on au centre-ville, quels liens avec les achats et la consommation, quelles aspirations en termes d’accessibilité et d’espace public.
En octobre 2022, ce sont d’une part 2023 personnes présentes au cœur de Lausanne qui ont été interrogées. Plus de la moitié d’entre elles (56%) résidaient sur la commune, 20% dans le reste du PALM ( Projet d’agglomération Lausanne-Morges), 16% dans le canton et 8% au-delà. Par ailleurs, afin de prendre l’avis de personnes qui ne fréquentent peu ou pas le centre-ville, 1060 individus (40% résidant sur la commune de Lausanne, 37% dans les communes du PALM, et 23% dans le reste du canton, ont donné leur avis en ligne. Enfin, 172 commerçants du centre-ville ont répondu à un questionnaire envoyé à 1276 enseignes localisées au centre-ville.
Fréquentation en baisse
Parmi la multitude de constats qu’apporte ce sondage, il en est un qui interpelle tout particulièrement. Il s’agit de l’évolution de la fréquentation du centre-ville depuis 2019, soit avant
la pandémie. Pour près de la moitié des personnes interrogées, cette fréquentation est certes restée inchangée (47%). Pour près de 20% elle a même augmenté. En revanche, pour davantage (32%), elle a diminué. La principale raison invoquée est le choix d’une destination plus proche de leur domicile. Quelque 48% de ces visiteurs moins fréquents invoquent un centre-ville devenu moins accessible, et presque autant parce qu’il est moins agréable en raison de la foule, de la mendicité, du deal ou de l’insécurité, réelle ou ressentie.
Les auteurs notent par ailleurs que «près des deux tiers des non-visiteurs ou visiteurs occasionnels déclarent qu’une accessibilité facilitée en voiture pourrait les amener à se rendre plus fréquemment au centre-ville, contre la moitié s’agissant de l’amélioration de l’efficacité et du confort des transports publics. Ainsi, l’attractivité et la convivialité des commerces ou de l’espace public, quant à elles, semblent jouer un moindre rôle». Par ailleurs, de nombreuses remarques considèrent comme prohibitifs les prix des transports publics dans une optique de réduction de la part de la voiture.
Amour et haine des transports publics
Comment les visiteurs occasionnels se rendent-ils au centre-ville? Les données récoltées ont permis d’estimer que «la part des transports individuels motorisés tourne autour des 30%, celle des transports publics de 50% et la marche autour de 20%». S’agissant du stationnement, les 272 automobilistes de l’échantillon récolté au centre-ville ont indiqué s’être garés surtout au centre, dans un parking public souterrain ou en étages, ceux de la Riponne et du Flon se trouvant en tête. L’enquête en ligne montre des habitudes similaires. Elle indique un très faible taux d’utilisation de parking P+R, avec 2% des visiteurs qui se garent à celui du Vélodrome ou à celui de Vennes, et moitié moins à celui de la Bourdonnette ou de parking de longue durée.
Ces chiffres peuvent s’inscrire dans un contexte où d’une manière générale, les quelque 2’500 places totalisées dans les parkings relais lausannois semblent avoir de moins en moins la cote. Une des explications avancée est le développement des transports publics régionaux, une autre les tarifs pratiqués, point sur sur lequel on y verra peut-être un peu plus clair puisque la Ville a décidé de les rendre gratuits le samedi, jour crucial pour l’activité des commerces.
S’agissant des personnes présentes au centre-ville, comment s’y étaient-elles rendues? Un peu plus de la moitié d’entre elles ont utilisé les transports publics (54%), surtout les femmes, un quart la marche à pied, et 14% un transport individuel motorisé, surtout les hommes et le samedi, dont 10% en voiture en conduisant. À la question «Si vous n’aviez pas pu venir en voiture aujourd’hui (p. ex. véhicule indisponible), comment seriez-vous venu?», la majorité ont répondu qu’ils seraient venus en transports publics, mais 32% qu’ils ne seraient pas venus. La rapidité et l’autonomie de mouvement sont sans surprise les raisons invoquées pour le choix de la voiture, les automobilistes estimant les transports publics trop chers et pas pratiques pour plusieurs activités. Et si la piétonnisation des rues venait à s’étendre, voire se généraliser, les plupart des visiteurs souhaiteraient qu’un minibus desserve l’hypercentre.
Achats en première motivation
Pour quelle raison vient-on au centre-ville de Lausanne? Essentiellement pour y faire des achats. C’est le cas de près de la moitié des gens qui s’y trouvaient (43%) lors de l’enquête. Les grandes surfaces de type Coop, Migros, Manor et Globus étaient les plus citées, mais les petits commerces locaux et boutiques d’artisan ne l’étaient guère moins (40%), précédant les grandes enseignes non locales (35%). Plus précisément, 63% des enquêtés sur place viennent au moins chaque semaine pour des achats, même plusieurs fois par semaine, seuls 5% ne se rendent jamais au centre-ville pour ce motif, tandis que 12% le font moins souvent. Les achats figurent aussi en tête des raisons d’aller au centre-ville chez les personnes interrogées en ligne. À une différence près : elles sont deux fois plus nombreuses (24%) à déclarer qu’elles le font moins souvent.
Les individus présents au centre-ville pour y faire des achats ont indiqué aussi avoir dépensé à cette fin des montants plutôt importants : 15% plus de 100 francs, 16% entre 50 et 100 francs et 37% moins de 50 francs. Bien davantage que pour la restauration, avec moins de 50 francs pou la moitié d’entre elles. Et de préciser qu’il s’agit là des montants dépensés au moment de l’interview, donc ne tenant pas compte d’éventuelles dépenses plus tard dans la journée. D’autre part, l’enquête a établi la relation entre le montant dépensé pour des achats et le mode de transport utilisé pour venir au centre-ville. Il ressort que les automobilistes ont été non seulement plus nombreux à dépenser pour ce motif, mais aussi davantage: plus de 100 francs par 24% d’entre eux. Cependant, étant donné qu’ils sont moins nombreux à se rendre régulièrement au centre-ville, ce sont finalement les piétons qui y dépensent le plus à l’échelle mensuelle, en moyenne 165 francs contre 107 francs, et 103 pour les usagers des transports publics.
Au final, l’étude constate que si 43% des personnes rencontrées au centre-ville y ont essentiellement effectué des achats, cette part est de 50% pour celles interrogées en ligne, «ce qui reste considérable sachant que l’échantillon porte sur tout le PALM et quelques communes supplémentaires».
Le ressenti des commerçants
Le questionnaire adressé aux commerçants par courrier n’a certes récolté que 172 réponses sur 1276 établissements. Néanmoins, ce taux de retour de 13,5%, constitué pour près de la moitié de petits commerces occupant trois personnes ou moins en équivalent plein temps, est considéré comme assez bon, sachant qu’on attend en moyenne 10% de réponses avec ce type de démarche.
Il en ressort que l’enjeu principal est l’accessibilité au centre-ville et de ses commerces. Les répondants sont globalement satisfaits de cette accessibilité en transports publics, mais ils estiment que 40% de leur clientèle utilisent la voiture pour se rendre dans leur commerce, ce qui apparaît surévalué en regard d’autres données récoltées auprès des visiteurs. Quoi qu’il en soit, les commerçants se déclarent majoritairement insatisfaits (61%) de l’accessibilité du centre-ville en voiture et de l’offre en stationnement, point sur lequel une part importante des personnes interrogées en ligne les rejoignent. Enfin, plusieurs se plaignent de la difficulté de trouver des locaux en raison du prix des et de la forte présence de grandes enseignes et de bureaux.
Les auteurs de ces enquêtes formulent plusieurs recommandations. Entre autres, ils considèrent indispensable une amélioration de l’offre en transports publics depuis la couronne lausannoise vers les destinations commerciales, tant en itinéraire qu’en fréquence, en dehors des heures de pointe et surtout le samedi. «Concernant la barrière du prix, des «produits TP» spécifiques pourraient être imaginés, comme des tarifs réduits en dehors des heures de pointe ou le week-end ou des forfaits famille. Ils préconisent aussi un renforcement de la communication autour des offres existantes.
À la lumière de données récoltées, il ressort indispensable de maintenir un accessibilité minimale en transports individuel motorisé. Les conclussions suggèrent aussi qu’il faudrait expérimenter des solutions de transport des achats volumineux pour les derniers 500 mètres, «par exemple des solutions lowtech tels que des chariots en libre-service».