L’ART ET DES MANIÈRES DE (RE)VITALISER UN CENTRE-VILLE

En matière de vitalisation Lausanne est persuadée de faire juste, mais l’intelligence commande d’enrichir sans cesse le débat par les enseignements et conseils issus d’expériences positives réalisées ailleurs.

Lausanne n’est évidemment pas la seule ville à éprouver des soucis de (re)vitalisation et (re)dynamisation de son centre-ville. La tendance au déclin de l’attractivité des villes dites moyennes, de Suisse et d’ailleurs, est quasi générale. Peu sont parvenues à l’inverser, plusieurs réussissent à la contenir, notamment en matière d’activité commerciale et d’emploi, manifestement les deux critères les plus déterminants. Pouvoirs publics et organismes de développement économiques déploient des trésors d’imagination. Les villes gagnantes avaient toutes misé sur l’architecture, la culture, l’innovation et la coopération intercommunale, puis mis en œuvre un véritable marketing allant bien au-delà de la promotion touristique.

Lausanne fait tout juste sur bien des points, mais l’intelligence commande d’élargir l’horizon des réflexions, d’enrichir sans cesse le débat par les enseignements et conseils issus d’expériences positives réalisées ailleurs, dans des villes considérées il y a peu comme «perdues». Une chose est sûre: il faut y mettre le prix. Si le diagnostic est relativement rapidement établi, le traitement demande des années de patience mais il en vaut la peine.
La vaste enquête réalisée à la demande de la capitale vaudoise sur son accessibilité montre combien la mobilité est moteur de l’attractivité du centre-ville (lire en page 7). Pour autant, elle n’est pas suffisante sans la motivation induite par la qualité d’accueil et la présence d’atouts irrésistibles tant en matière d’infrastructures, de shopping, de flâneries et de découvertes. Mais toutes les études et les initiatives prises en Suisse, en Europe et ailleurs sur ce thème en démontrent l’efficacité. Au point que le sentiment d’insécurité, objective ou subjective, que peuvent ressentir les visiteurs semble dès lors se dissoudre dans l’agrément du cadre urbain.
La France a lancé en 2018 un vaste programme de revitalisation des centres-villes baptisé «Action Cœur de Ville» portant notamment sur l’implantation de commerces et d’entreprises, le développement de l’accessibilité, de la mobilité et des infrastructures numérique. Après quatre ans de programme, une hausse moyenne de plus de 15% de la fréquentation a été recensée dans les 234 villes participantes, contre 2% dans les villes hors programme.

Ce qui a marché, ou pas…
«Action Cœur de Ville» a permis de faire la distinction entre ce qui marche. Ce qui peut marcher et ce qui ne peut par vraiment marcher pas.
Ce qui marche? Deux mesures à peu de frais : le recours aux outils juridiques d’aménagement urbain et la création du poste de manager du centre-ville. Ces personnes permettent de fédérer les différents acteurs, tels que les commerçants et associations afin de mettre en œuvre des stratégies communes. Et de citer l’exemple de la ville de Mulhouse, où «le manager du commerce a été un acteur majeur de la stratégie de montée en gamme et de diversification voulue par le maire, avec à la clé une baisse significative du taux de vacances commerciale en quelques années». Ce qui peut marcher? Par exemple taxer les friches commerciales, incitant les propriétaires à louer leurs espaces lorsqu’ils sont vides. La ville de Saint-Brieuc, en Normandie, n’a certes pas encaissé grand chose à ce titre, mais cela a permis de remettre des locaux sur le marché. «Action Cœur de Ville» souligne cependant que «l’utilisation de ce dispositif dans des villes où le taux de vacances est déjà très élevé peut s’avérer contre-productif en faisant fuir les potentiels investisseurs ou en accentuant les difficultés des propriétaires pour trouver des locataires» .
Ce qui ne marche pas vraiment? La mise en place de plateformes numériques sur lesquelles les commerçants peuvent proposer leur produits en ligne. L’expérience française montre qu’elles ont du mal à décoller et à trouver leur clientèle. «Quelques années après leur implémentation, très peu de transactions sont enregistrées et le nombre de commerçants adhérents reste faible.»

Bordeaux et Lille en exemple
En France toujours, Mytraffic et l’Institut des hautes études des métropoles ont publié en 2022 un palmarès des quartiers les plus dynamiques, sur la base de fréquentation piétonne mensuelle. Un comptage important, car il permet de renseigner de manière objective les commerçants sur les visiteurs présents effectivement et de mettre en avant les quartiers les moins fréquentés.
Bordeaux est en tête. La ville le doit notamment à la mise en place d’un service de navettes entre la péripétie et le centre à fréquence élevée. Et aussi parce que la mairie a promulgué
un fonds d’investissement dédié aux projets de rénovation, aménagement et modernisation des commerces.
La ville de Lille, ancienne cité industrielle, a elle aussi connu un grand succès, notamment en faisant de la restauration une locomotive commerciale grâce à deux Food Courts qui attirent dans le secteur piéton un flux important de consommateurs. Une vaste démarche de budget participatif a contribué à faire émerger de nombreuses actions à l’issue d’un vote, en ligne ou en présentiel, tranché par un jury citoyen. Lille a par ailleurs mis en œuvre une piétonnisation dans le Vieux-Lille limitée au samedi en 11 et 18 heures, soit entre les horaires de livraison, favorisant ainsi les livraisons et la tranquillité des riverains.
Autres exemples : celui de Nantes, avec des transports publics gratuits le week-end , ou celui de Grenoble, qui se félicite de constater combien le développement grandes enseignes stimule l’activité du quartier et permet aux petits commerçants de fleurir.
D’une manière générale, cette étude retient plusieurs critères de réussite pour des quartiers dynamiques :
– En accordant une place prépondérante aux piétons. Selon une piétonnisation mise en place à des degrés divers, par zone, tranche horaire ou type de public, et accompagnée systématiquement d’une politique de transports.
– En combinant tous les types d’accès et de transports pour les quartiers les plus attractifs.
– En travaillant le marketing territorial, par exemple en exploitant le tourisme au profit du commerce, mettant en avant les produits du terroir.
– En entretenant un dialogue permanent avec tous les acteurs du quartier, à petite comme à grand échelle.

Culture et innovation
Les exemples de revitalisation de villes dites moyennes en Europe sont nombreux. En Espagne, Bilbao a connu une renaissance remarquable dans les années 1990, l’inauguration du musée Guggenheim en 1997 ayant été l’élément déclencheur.
En Ecosse, Dundee a dû se réinventer après le déclin de son industrie du jute. Là aussi, la création d’un musée (V&A Dundee, musée de design de l’architecte Kengo Kuma) a contribué à sa redynamisation.
En Autriche, Linz, autrefois industrielle, s’est réinventée en misant sur la culture et l’innovation, notamment par la construction du centre culture Ars Electronica.

L’atout «parrain-marraine»
Au niveau suisse, l’Association des communes suisses (ACS) et l’Union suisse des arts et des métiers (USAM) se sont associées pour publier il y a quelques années déjà un guide recensant les critères de succès de vitalisation d’une ville ou localité.
À la lumière de quelques exemples essentiellement en Suisse alémanique considérés comme réussis, ce guide souligne l’intérêt de s’assurer le soutien d’une personnalité reconnue. «La présence d’un·e tel·le “parrain-marraine„ est indispensable pour lancer et favoriser le processus de revitalisation.» Et de rappeler que «Le terme de “ revitalisation„ ne signifie toutefois pas le rétablissement d’un état antérieur idéal. En effet, comme l’enseigne l’Histoire, les centres des villes et des localités sont depuis toujours confrontés à des mutations structurelles».

DIX RECOMMANDATIONS
L’Association des communes suisses (ACS) et l’Union suisse des arts et des métiers (USAM) formule dix recommandations dans son guide paru il y a quelques années sur la revitalisation des centres-villes et de localités.
> Établir une stratégie claire.
> Jouer un rôle actif de l’autorité communale.
> Impliquer tous les acteurs.
> Renforcer et développer l’identité locale.
> Sensibiliser aux compromis.
> Créer des synergies et les exploiter.
> Utiliser la densification pour améliorer la qualité de vie.
> Tenir compte des structures existantes sans empêcher les innovations.
> Élaborer un concept de mobilité.
> Informer sur la vitalisations réussie.