
Fripes vintage ou grand luxe, articles en tout genre… rien ne semble entraver la croissance exponentielle du marché de seconde main dans l’habillement. Dans la région lausannoise comme ailleurs, les boutiques de vêtements et accessoires de mode, magasins physiques ou en ligne, sont de plus en plus nombreuses. À cela s’ajoutent les innombrables dépôt-vente plus ou moins discrets aménagés dans une pièce d’appartement. Même les grands détaillants traditionnels s’y mettent. On s’accorde à dire que cette fulgurance d’économie circulaire a pris son essor lors de la crise sanitaire, qui a bouleversé les habitudes de faire du shopping. Et que son dynamisme est boosté par les réseaux sociaux, l’inflation, la bonne conscience d’une consommation plus durable et la créativité de ses acteurs.
Les boutiques de seconde main dédiées à la confection trouvent désormais leur place sur le site de Lausanne Tourisme. Dans la section « Les petits guides du moment », une sélection d’une dizaine de « coups de cœur » actifs dans la capitale vaudoise y est mise en avant, illustrés par l’image, avec mise en lumière leurs particularités, leur localisation indiquée sur un plan de la ville. Ce n’est qu’un bref aperçu de la cinquantaine de magasins de ce type qui opèrent dans la région lausannoise.
Le 28 septembre dernier, sous le thème « le seconde main, notre premier choix », les plate-formes de vente en ligne Ricardo, Tutti et Anibis organisaient la cinquième édition d’un Secondhand Day national. Boutiques de seconde main, brocantes, marchés aux puces et Repair Cafés étaient invités à participer à cette journée d’action destinée à montrer à quel point l’offre de produits d’occasion et la valorisation de l’usagé est variée et originale. On apprenait, selon le baromètre e-shopper du transporteur DPD, que la Suisse est le pays européen comptant le plus de particuliers vendant des produits de seconde main sur internet.
Hors des zones commerciales
Pour la plupart, il s’agit d’établissements de taille modeste. Les boutiques lausannoises au nom enchanteur se sont pour la plupart installées en dehors des zones commerciales animées, dans des secteurs où les loyers commerciaux restent plutôt abordables : Kiloboutique à la Borde et à Marterey, Throwback Vintage à l’avenue de Beaulieu, Prêt à Séduire,
chemin du Liseron ou Le Dressing à l’avenue des Alpes, etc. Leur forte présence sur les réseaux sociaux et les communautés qu’elles y ont développé compenseraient le désavantage de se trouver dans des secteurs considérés comme peu propice pour un magasin traditionnel.
Le seconde main d’aujourd’hui s’est quelque peu distancé des fondamentaux que sont les friperies ancestrales ou les associations caritatives à prix très bas qui continuent de traverser les époques. Tant par son mode de fonctionnement que par la créativité, le dynamisme et le sens du commerce de ceux qui le pratiquent, cette activité, dont on dit qu’elle serait d’un bon rapport, peut être considérée comme un secteur économique à part entière. C’est dans la confection, courante ou luxueuse en très bon état, que la croissance est la plus fulgurante et la plus visible.
La confection et les accessoires de mode actuels ou rétro, occupent donc le haut du pavé. Les boutiques physiques lausannoises rivalisent de créativité et leur développement le leur rend bien. À l’image de Fripsquare, qui témoigne d’un bel esprit d’entreprise. Installée pendant deux ans sur 11 m2 dans une ancienne station service du quartier sous-gare, elle dispose
désormais d’une belle surface en face du Royal Savoy avec cabine d’essayage, propose un espace café, compte une dizaine d’employés, se profile comme un lieu de rencontre au-delà de la communauté de son site internet.
Ces boutiques pratiquent généralement le dépôt-vente, gardant en présentation attrayante les articles durant une certain nombre de semaines ou de mois. L’une des clés de la réussite, afin non seulement de faire venir la clientèle mais aussi de la faire revenir, consiste en un renouvellement régulier du stock. Elles prélèvent pour la plupart environ la moitié du prix lorsqu’une pièce a trouvé preneur, le vendeur recevant l’autre moitié. Ces magasins ont à toutefois à peu près tous le même problème : ils croulent sous l’abondance de l’offre au point d’en refuser, tant sont nombreuses les personnes souhaitant récolter quelque argent de leurs vêtements usagés en bon état ou les revaloriser dans le circuit plutôt que de les jeter. B-a-ba du métier, l’art du commerçant consiste alors à sélectionner ce qui a le plus de chance de trouver preneur.
Certaines échoppes se sont spécialisées dans le vintage, c’est à dire la confection pouvant être revendue parce recherchée par nostalgie d’une époque ou par goût. Ou encore dans le haut de gamme des vêtements griffés, le chic du chic, comme Prêt à Séduire à Ouchy, spécialisée dans les sacs, vêtements, chaussures et accessoires de luxe garantis our leur authenticité. Bref, il y en a pour tous les budgets.
Une dimensions « industrielle »
Si le dépôt-vente est donc le domaine qui domine, certaines boutiques ont adopté un approvisionnement d’un genre assez différent. La RTS a ainsi suivi l’exploitant d’un magasin romand se rendant périodiquement en France chez un fripier peu ordinaire qui a mis sur pied une véritable industrie du seconde main, à la manière d’un grossiste. Cette société amasse dans un immense entrepôt vêtements et chaussures usagés en bon état provenant du monde entier, soit obtenus gratuitement, soit rachetés massivement à des organismes d’entraide qui les ont reçus dans des points de collecte. Tout y est méticuleusement classé par catégories et qualités. Au kilo, à la pièce ou par lots, les revendeurs viennent y faire leur choix, avec des prix d’acquisition suffisamment intéressants pour leur permettre une revente intéressante à condition de bien connaître la demande du moment et sa clientèle. À Lausanne aussi, la Freeperie, place du Tunnel et en ligne, propose aux boutiques de seconde main depuis son dépôt sur les hauts de la ville des ballots de dix à cent pièces de sweaters, pulls, vestes, jeans ou mixtes.
Aujourd’hui, le seconde main draine une telle clientèle que les grandes enseignes sont de plus en plus nombreuses à s’y lancer, en parallèle de leur commerce traditionnel. Au risque de mettre en péril les petits indépendants ; là, on n’est clairement plus dans la logique du « vendre au lieu de jeter ».
En matière d’horlogerie, Bucherer a été le premier détaillant à rejoindre le programme Rolex Certified Pre-Owned et propose dans ses boutiques un espace dédié aux montres d’occasion. À Paris, les Galeries Lafayette Haussmann disposent d’une espace (Re)Store proposant « les plus belles pièces de seconde main », de l’accessible au luxe.

La tentation de mêler en un même lieu la vente du neuf à celle de l’occasion ne devrait pas épargner la Suisse, Peu ou pas de grands noms de la distribution s’y sont lancés cependant ouvertement. Manor l’a fait, cependant sans lendemain, dans son magasin de Genève, en coopérant avec Tilt/Vintage, fournisseur français de vêtements et d’accessoires de seconde main. À Genève toujours, Bon Génie a ouvert l’an passé un espace dédié au seconde main de luxe. À Lausanne, Manor s’était laissé tenter l’année précédente. Les autres grandes enseignes helvétiques de commerce de détail participent à cette forme d’économie plutôt en ligne que par une offre physique d’articles d’occasion dans leurs rayons. Toutes sont cependant conscientes qu’un espace seconde main côtoyant la vente « ordinaire » contribue à générer du flux de visiteurs, que ceux-ci sont aussi des clients potentiels pour des achats conventionnels.

L’ÉTHIQUE AVANT LES ÉCONOMIES
Pour la première fois, MACH Consumer, la plus importante étude permanente sur la consommation et les médias en Suisse, a publié en octobre dernier une étude sur le développement du marché de seconde main.
Il en ressort que 15 % de la population suisse achète des vêtements d’occasion et contribue ainsi à l’économie circulaire. Plus précisément, 41 % de ces personnes sont âgées de 14 à 34 ans, sont majoritairement en formation et/ou ont des enfants.
Par ailleurs, l’enquête indique que « les personnes qui achètent des vêtements d’occasion suivent la mode et aiment beaucoup acheter des vêtements. Elles aiment porter des vêtements singuliers et originaux, et attachent une grande importance aux accessoires. Souvent, elles conseillent également d’autres personnes en matière de mode ».
D’une manière générale, la motivation première n’est pas économique, la clientèle du marché de seconde main ayant tendance à dépenser plus que la moyenne pour des vêtements, soit plus de 2000 francs en vêtements sur une période de douze mois. Leur demande apparaît plutôt motivée par des raisons de durabilité et d’éthique.
LA TENTATION DU RECONDITIONNÉ
Hormis le commerce de véhicules d’occasion vieux comme le monde, la folie du reconditionnement des smartphones est une manifestation criante du l’économie circulaire dont la motivation semble tout de même essentiellement économique. Dans un marché saturé, où les fabricants et les magasins spécialisés incitent au renouvellement des appareils encore en fonction à coups de nouveaux modèles, les consommateurs tentés par les nouveautés sont toujours plus nombreux incités à revendre le téléphone qu’ils comptent remplacer. Depuis 2018, les ventes de téléphones portables de deuxième main explosent en Suisse.
Dans le foisonnement de boutiques et d’enseignes qui ont développé une activité dans ce domaine, Swisscom ambitionne d’en devenir la référence en collaboration avec Recommerce Swiss. Cela en proposant des smartphones reconditionnés en parfait état de marche provenant de Suisse, en deux niveaux de qualité et de prix, 100 % fonctionnels après avoir subi plus de 35 points de contrôle et garantissent plus de 80 % de la capacité de batterie d’origine.
OMBRE AU COMMERCE TRADITIONNEL ?
Selon une étude de KPMG, le commerce de seconde main est « l’une des disruptions les plus importantes de ces
dernières années, et son impact sur tous les acteurs du marché ». Non seulement les vêtements, mais tout type
d’achat est désormais concerné.
Considéré comme une référence mondiale, le Resale Report 2023 du site américain de revente en ligne thredUp
prévoit que le marché mondial de seconde main devrait doubler d’ici 2027, avec une croissance trois fois plus rapide
que celui de l’habillement traditionnel. Une augmentation qui devrait au moins être aussi importante en Suisse,
où cette activité est particulièrement développée. Selon ce rapport, 52 % des consommateurs avaient acheté des
habits d’occasion l’an passé. Avec sans surprise pour première motivation de faire une bonne affaire et de s’offrir des
vêtements de marques.
La question de savoir dans quelle mesure le seconde main peut faire de l’ombre au commerce de détail soumis à
des règles de plus en plus contraignantes est complexe. Elle se pose avec une pertinence accrue à la veille des fêtes
de fin d’année, période pendant laquelle les enseignes traditionnelles réalisent une part importante de leur chiffre
d’affaires indispensable à leur équilibra financier. Faute de pouvoir apporter des éléments objectifs de réponse, on
observe cependant que les achats de seconde main sont le plus souvent destinés à soi-même. Et que les cadeaux
qu’on offre sont très exceptionnellement constitués d’article d’occasion, donc usagés.