MÊME AU BORD DU LÉMAN, L’EAU NE COULE PAS DE SOURCE

L’eau potable source de vie ne tombe pas du ciel. Le réseau lausannois en « fabrique » et distribue quelque 33 millions de m3 par an.

Les capacités de la future nouvelle usine de pompage et de filtration à Saint-Sulpice, principale productrice du vaste réseau lausannois, risquent de ne pas suffire face à l’accroissement de la consommation d’eau potable actuelle et future. Pour se préparer à cette éventualité, la Ville veut augmenter le nombre de pompes et d’unités de traitement dans sa seconde usine lacustre, à Lutry. Saint-Sulpice et Lutry assuraient en 2022 respectivement 47,3 % et 30,7 % du réseau lausannois. Un réseau qui dessert, au détail, en plus de Lausanne, 19 communes dans l’agglomération, et fournit en gros 35 communes ou associations de communes, soit en tout un bassin de quelque 380 000 habitant·e·s. En moyenne annuelle, cela représente une consommation de quelque 33 millions de m³.

Une délégation lausannoise s’est rendue en février dernier à Nouakchott, capitale de la Mauritanie, pour constater l’impact d’un partenariat entre les deux villes et plus de cent communes suisses afin de participer au développement et à l’amélioration de l’accès à l’eau dans un quartier de cette métropole saharienne. Les membres de cette action perçoivent 1 centime par m³ d’eau vendu. A l’échelle du Service de l’eau lausannois, cela représente près de 300 000 francs par an. Et le 23 mai dernier, une plaque commémorative était inaugurée à Ouchy à l’occasion des 15 ans de ce par tenariat. En échange, cela permet notamment aux experts lausannois de mieux comprendre la gestion parcimonieuse de l’eau dans des conditions environnementales de crise climatique. Lovée au bord du plus grand lac d’Europe occidentale, la capitale vaudoise jouit évidemment d’une situation enviable, et il ne vient à l’idée de personne que son approvisionnement en eau pourrait être problématique. La réalité est assez différente…

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le lac était quasiment un tout-à-l’égout et son eau impropre à la consommation. Raison pour laquelle Lausanne avait développé un important réseau d’approvisionnement jusque depuis le Pays d’Enhaut. Ce réseau existe toujours, mais il est en bout de course et doit prochainement être remis à neuf. Les temps ont changé, la construction de stations d’épuration a rendu l’eau du Léman utilisable, mais non directement buvable au sens des exigences sanitaires d’aujourd’hui. Deux usines lausannoises de pompage et de filtration y pourvoient. Elles assurent ensemble 80 % des besoins. Diverses provenances font le reste, dont 13 % environ du lac de Bret.

L’usine de Saint-Sulpice, la plus importante, a distribué en 2022 près de la moitié de la consommation d’eau potable pour la ville et les communes partenaires. Elle pompe l’eau brute du lac à 1 kilomètre au large et à 45 mètres de profondeur. Mise en service en 1971, cette installation est devenue obsolète. Une nouvelle, ultra-moderne, doit être érigée sur le site, mais sa construction est loin d’être un long fleuve tranquille.

Le nombre et la ténacité des oppositions lors de la première mise à l’enquête, en 2022, pourraient illustrer combien le droit à l’opposition à des réalisations d’intérêt public devient problématique. Par ailleurs, la future usine, dont le prix était estimé en 2018 à 82 millions, pourrait bien revenir à plus de 120 millions, un premier crédit supplémentaire de 10 millions de francs ayant été sollicité, « entièrement compensé par un prélèvement sur le Fonds de réserve du Service de l’eau ».

Coûteux imprévus
Les raisons de cette explosion budgétaire à Saint-Sulpice sont diverses. En premier lieu, il a fallu recomposer le consortium à la suite du retrait de Wabag SA qui n’a pas été en mesure  de respecter le montant de son offre. Cette entreprise a été remplacée par AMICS (conception et construction de l’électricité/automation) et IDEM (conception et construction des conduites), engendrant des modifications de conception qui coûtent cher.

Dans la liste des événements imprévisibles figure la nécessité d’augmenter les exigences en matière de sécurité en raison du nombre croissant d’incidents de hacking sur des installations stratégiques automatisées. Ou encore, très concrètement, la nécessité d’adopter des mesures contre l’invasion de la moule quagga. Il s’agit ici de mettre en place une filtration limitant le nombre de minuscules larves risquant de coloniser la chaîne de traitement tout en diminuant le moins possible la capacité de production.

La seconde usine, celle de Lutry, assure près de 30 % de la consommation d’eau potable du réseau lausannois. Mise en service en 2000, elle a remplacé la première, construite en 1932, qui pionnière sur le Léman. L’usine actuelle est à peine visible, car elle est souterraine, recouverte de vignes. Elle puise son eau à 460 mètres au large et à 60 mètres de profondeur.

Plusieurs éléments plaident pour une augmentation de sa capacité. À elle seule, la mise hors service des captages d’eaux souterraines à cause d’une trop importante teneur en chlorothalonil diminue le rendement de l’usine de 5 %. S’y ajoutent les conséquences du retard pris à Saint-Sulpice face à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses et canicules. Un crédit de 3,5 millions de francs a été demandé par la Ville pour parer à ces problématiques. L’image d’Épinal d’une Suisse château d’eau de l’Europe résiste
encore, or même au bord du Léman, à l’aune de la crise climatique, l’eau n’a jamais autant mérité son appellation d’or bleu.

FACTURE EN TROIS VOLETS
Après plusieurs baisses successives exigées par Monsieur Prix à la suite de doléances de la population, le prix du m³ d’eau lausannois, qui avait grimpé jusqu’à 1,95 franc en 2008, est actuellement de 1,68 franc.

Sur le territoire de la commune de Lausanne, la facture comporte trois parties:

Partie fixe. 84 francs annuels par abonnement pour les frais administratifs et l’entretien du branchement sur le domaine public. Taxe de débit de 63 francs par an par m³/heure. Taxe mensuelle de location de compteur, clapets et autres, selon le diamètre du compteur.
Partie variable. Taxe de consommation, fixée à 1,68 francs le m³. Taux de TVA, l’eau et l’assainissement y étant assujettis par la Confédération. Taxe concernant les eaux usées, fonction de la consommation d’eau potable et des eaux claires liées à la parcelle.
Contributions. Elles sont facultatives pour les communes. À Lausanne seulement : 5 cts par m³ pour le Fonds communal pour le développement durable dont le but est de financer des projets en faveur de la durabilité dans ses aspects sociaux. À Lausanne et dans les communes alimentées au détail, 1 ct par m³ pour améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement à Nouakchott en Mauritanie.