
Les mesures et les dispositifs de promotion mis en place par les pouvoirs publics et les milieux économiques depuis quelques années semblent porter leurs fruits. Pour la première fois et depuis fort longtemps, la proportion de jeunes qui ont choisi la formation professionnelle initiale au sortir de l’école obligatoire a augmenté en 2024. Tendance durable ou année exceptionnelle ? Cela reste bien sûr à confirmer. Le Canton d’une part, mais aussi l’association entre Économie Région Lausanne (ERL) et la Ville de Lausanne pour le prix annuel Entreprises Formatrices contribuent à cet encouragement tant auprès des employeurs que des jeunes. Il reste cependant bien du chemin à parcourir après des années de dégringolade de l’attrait de l’apprentissage en Romandie en comparaison avec la Suisse alémanique.
Le portail orientation.ch, alimenté par les publications des entreprises demandeuses est un indicateur intéressant de l’état du marché des places d’apprentissage. Si l’on en cherche une, il suffit d’indiquer dans quel canton, ainsi qu’une profession, pour obtenir immédiatement les coordonnées des employeurs répertoriés. Pour 2025, toutes professions confondues, on en trouvait plus de 1’600 à la mi-novembre dans la seule région lausannoise.
« Les chiffres sont globalement stables », selon l’expression prudente du conseiller d’État Frédéric Borloz. De fait, ces données « Globalement stables » sur l’orientation professionnelle des jeunes dans le canton recèlent une bonne nouvelle : une hausse de 1 % de la proportion d’entre eux qui ont choisi la voie de l’apprentissage à la sortie de l’école obligatoire. Ils et elles sont 20,3 % cette année. Cela ne s’était pas vu depuis longtemps, car la tendance était plutôt à la baisse.
Fin juillet 2024, on comptait ainsi 5’465 nouvelles entrées en formation professionnelle initiale : 79 % en CFC voie duale, 9 % en école des métiers, 6 % en école de commerce et 6 % en AFP. Dans l’ensemble, sur les 36’400 jeunes en formation post-obligatoire, on en dénombrait à la rentrée de cette année 19’500 en apprentissage et 13’950 dans les formations générales. Quant aux inscriptions en école de maturité, elles n’augmentent plus depuis trois ans et se situent autour 37,7 %. Plus encore, le nombre de celles et ceux qui ont suivi la voie pré-gymnasiale et ont opté directement pour l’apprentissage est en hausse de 2 %, passant à 9 %.

À terme, au sortir de l’école obligatoire ou plus tard, ce sont environ 40 % des jeunes qui choisiront la voie de l’apprentissage. Pas de quoi de pavoiser pour autant. D’abord parce qu’ils étaient encore 74 % à s’orienter ainsi en 1990 selon Vaud Statistiques. Et aussi parce que dans notre canton, comme en Suisse romande en général, cette proportion est bien inférieure à ce qu’elle est de l’autre côté de la Sarine, par exemple 75 % environ à Berne ou à Zurich, ou 83 % à Uri (le record). Seul le canton de Jura se rapproche de tels chiffres avec un taux de 67 %.
C’est d’autant plus dommageable, relevait récemment Économie Suisse, qu’une désaffection de l’apprentissage professionnel « affaiblit nettement la capacité d’innovation de la Suisse ». Et de rappeler que « le système de formation dual de la Suisse est sans doute unique au monde de par sa nature, et constitue un facteur de succès central. Il est toutefois primordial d’augmenter encore la perméabilité des filières de formation et de renforcer la compatibilité des différents systèmes ».
Les raisons de cette situation sont plus ou moins connues. L’apprentissage, surtout sous la forme duale, peine en Suisse romande à se débarrasser d’une dévalorisation des qualités de la personne et de ses ambitions qui lui colle encore à la peau. La responsabilité en incombe essentiellement aux parents, souvent persuadés que leurs enfants ne s’accompliront dans la vie que s’ils entreprennent une formation supérieure, que le gymnase c’est quand « plus select ». Et en l’espace d’une ou deux générations de parents eux-mêmes encouragés puis convaincus de la sorte à l’adolescence, le situation ne pouvait que s’aggraver. De son côté, force est d’admettre que l’école obligatoire a longtemps prôné cette image de la réussite sociale et économique auprès des élèves.
Le léger redressement mentionné plus haut n’en est pas moins réjouissant tant le monde économique a besoin de main-d’œuvre qualifiée dans les secteurs porteurs de croissance.
Un véritable écosystème
Pas d’effet sans cause. Si davantage de jeunes choisissent tout de même aujourd’hui la voie de l’apprentissage, en entreprise ou en école professionnelle, c’est parce que la valorisation de cette voie entreprise par les pouvoirs publics et les milieux économiques commence à porter ses fruits. Dans le domaine de la construction, les campagnes d’information de la Fédération vaudoise des entrepreneurs (FVE) contribuent, d’une part à combattre les préjugés à l’encontre de certains métiers, d’autre à part à expliquer les possibilités d’avancement qu’ils ouvrent, notamment par la maturité professionnelle, qui fête cette année ses trente ans d’existence.
Hormis le soutien et le suivi des entreprises formatrices et de leurs apprentis sur le terrain, le plan d’action mis en place par le Canton depuis quelques années représente un véritable
écosystème de valorisation de l’apprentissage.
La popularité croissante du Salon des métiers et de la formation de Lausanne, destiné aux élèves de 10e et 11e année, à leurs parents ainsi qu’aux jeunes adultes, en est l’une des manifestations les plus visibles. L’édition 2024, qui s’est tenue début octobre à Beaulieu, a battu tous les records d’affluence, franchissant la barre des 50 000 visiteurs, dont 16’892 élèves inscrits avec leur classe. Une centaine d’associations professionnelles et entreprises y présentaient cette année près de 500 formations initiales, supérieures ou continues.
Promouvoir l’apprentissage par l’événementiel peut revêtir des formes bien plus originales encore. Dernier exemple en date : le 14 novembre dernier, avec la désormais traditionnelle journée « Oser tous les métiers ». En janvier de cette année, c’était la dixième édition de la Nuit de l’apprentissage. De 17 h à 20 h 30, dans quatre écoles professionnelles du canton, dont à l’EPSIC, près de 1’000 jeunes à la recherche d’une place d’apprentissage pouvaient tenter leur chance auprès de 150 entreprises recrutant leurs futures apprenties et apprentis pour la rentrée. Leur dossier de candidature en main, ces élèves de 11e année notamment pouvaient faire part de leur motivation et de leur intérêt pour un ou plusieurs métiers, au cours d’un entretien d’une dizaine de minutes. Relecture de CV et conseils d’amélioration ainsi qu’entretiens de recrutement pour s’entraîner étaient également proposés. Au fil des ans, cette manifestation a permis de signer de nombreux contrats d’apprentissage et d’organiser bon nombre de stages. La prochaine édition se tiendra le mercredi 5 février 2025, toujours à l’EPSIC.
Événementiel toujours, avec, en novembre dernier, l’organisation d’un Speed Recruiting au Palais de Beaulieu. Mise sur pied par l’association Mobilet’ avec le soutien de l’État de Vaud, cette manifestation avait pour but de mettre en relation les entreprises du Grand Lausanne proposant des places d’apprentissage pour 2025 avec les jeunes de la scolarité obligatoire, du Semestre de motivation de l’École de transition et de toutes autres mesures d’insertion.
Enfin, Frédéric Borloz a confirmé la construction d’une Cité des métiers d’ici 2028, à Crissier, Un espace de conseils et de ressources au service toute personne en recherche d’orientation sur les métiers.
À LA HAUSSE, À LA BAISSE…
Les entreprises vaudoises proposent des formations duales dans près de deux cents professions tandis que des écoles de métiers offrent des formations à plein temps (école + stage) dans plus de vingt métiers.
Depuis une vingtaine d’années, le domaine du travail social connaît la plus forte augmentation, avec près de deux fois plus d’apprentissages. Suivent, en termes de progression, les secteurs de l’informatique (+63 %), de la santé (+15 %) et du commerce et administration (+12 %). Parmi ceux qui ont perdu du terrain, se trouve celui de l’industrie de transformation (-27%), laquelle comprend notamment les métiers de la menuiserie, de la boulangerie, de la transformation du lait, suivie de l’architecture et bâtiments (-24 %) et du domaine des arts (-22 %).
Plus précisément, Frédéric Borloz indiquait début octobre un état de la situation par quelques exemples de variations du nombre de contrats constatées à ce moment-là. Trois domaines accusaient une diminution sensible : Industrie et Mécanique (moins 41 pour un total de 1’295), Commerce et Vente (moins 135 pour un total de 1’430) et Restauration, Hôtellerie et Artisanat ( moins 98 pour un total de 822). En revanche, trois autres domaines avaient vu une augmentation : Agriculture (9 en plus pour un total de 122), Soins, Santé et Social (52 en plus pour un total de 1’194) ainsi que Bâtiment et Construction (43 en plus pour un total de 1’006).
Parmi les toutes nouvelles professions et fonctions recensées par Orientation.ch figurent celles d’installateur-rice solaire (CFC en trois ans) et monteur-se solaire (AFP en deux ans). Les premier-ères raccordent, entretiennent et réparent les installations destinées à produire de l’énergie solaire, tandis que les second-e-s assemblent et fixent les systèmes de montage et posent les modules. Ou encore désormais le métier d’Informaticien-ne du bâtiment (CFC en quatre ans), qui consiste à planifier, installer et configurer des systèmes d’automatisation des bâtiments, de communication et de multimédia (ACM).
LE MIEUX – ENNEMI DU BIEN
Les exigences du monde du travail sont fondamentalement différentes de celles de l’enseignement supérieur, plus « confortable » à bien des égards. Aussi l’amélioration de la condition d’apprenti-e en entreprise est-elle souvent considérée comme une manière d’inciter davantage de jeunes à choisir cette voie au sortir de l’école obligatoire.
Arguant qu’un-e apprenti-e travaille et produit de la valeur, les jeunes socialistes suggèrent un salaire minimum de 1’000 francs ainsi que cinq semaines de vacances. Dans un récent débat sur ce thème lors de l’émission Forum, Pauline Blanc, présidente des Jeunes PLR vaudois, a mis en garde contre l’effet contre-productif que risquent d’engendrer de telles mesures. Aux yeux de la Conseillère communale lausannoise, cela ferait en effet courir le risque de diminuer le nombre de places d’apprentissage disponible et pourrait mettre en péril le système de formation duale.