L’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI) a lancé une campagne pour rappeler les avantages à mandater un courtier en immeubles traditionnel pour vendre son bien immobilier, plutôt qu’à s’en remettre à une société en ligne qui axe sa communication sur la perception d’honoraires forfaitaires. © Shutterstock

LA TENTATION DU COURTAGE 2.0

L’essor de la vente immobilière en ligne pourvue d’atours toujours plus séduisants ainsi que la montée en puissance de nouveaux acteurs de la PropTech et de ses algorithmes pratiquant la rémunération des intermédiaires au forfait et non au pourcentage de la valeur du bien bousculent les usages. Tant le vendeur que l’acheteur ont désormais la possibilité de choisir entre des approches en apparence radicalement différentes pour réaliser la meilleure transaction. L’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI) rappelle cependant que la qualité d’une transaction immobilière ne se mesure pas au mode de rémunération de l’intermédiaire.

La disruption dans le secteur de l’immobilier ne date pas d’hier. Elle est apparue il y a une vingtaine d’années, avec l’émergence puis la montée en puissance de sites comme ImmoScout24 et Homegate. Ces plateformes offrent non seulement aux parties d’entrer directement en contact, ce que faisaient certes depuis toujours les petites annonces, mais elles le permettent de manière à première vue engageante grâce à de multiples critères de sélection ainsi qu’à une mise en valeur du bien en tirant avantage des technologies visuelles de plus en plus spectaculaires. On estime qu’en Suisse 95 % des transactions immobilières se concluent via des portails numériques, souvent de gré à gré. Les pratiques traditionnelles de courtage à la commission en ont été durement impactées. Cela sans toutefois remettre franchement en cause le rôle de l’intermédiaire professionnel dans la mise en relation de partenaires potentiels pour l’aboutissement d’une transaction avec toutes les formalités nécessaires, notamment pour un acte d’achat/vente en bonne et due forme.

La PropTech veut changer la donne
Le chambardement ne date donc pas d’hier. Or, cette transformation du secteur immobilier s’est accélérée à la vitesse du développement de la PropTech, à savoir la disponibilité d’outils numériques permettant l’émergence de solutions innovantes en phase avec la transformation des modes de consommation. Celle qui défraie la chronique avec une virulence particulière
est probablement celle qui introduit l’estimation en ligne et remplace le courtage au pourcentage de la valeur du bien par un forfait en apparence plus avantageux. « Aucun algorithme ne remplace le regard de nos courtiers ». L’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI) a lancé une campagne pour rappeler les avantages à mandater un courtier en immeubles traditionnel pour vendre son bien immobilier, plutôt qu’à s’en remettre à une société en ligne qui axe sa communication sur la perception d’honoraires forfaitaires.

« La plus-value du courtier minimise le risque pour le vendeur de voir son bien mal estimé, sous-évalué et vendu en dessous de sa valeur réelle ou, au contraire, surestimé et stagner sur le marché de la vente. »
Frédéric Dovat, secrétaire général de l’USPI Vaud

 

Dans un encart publié l’automne dernier dans le quotidien 24heures, Frédéric Dovat, secrétaire général de l’USPI Vaud, soulignait ainsi que « seul un courtier, de par son expérience, sa formation, ses connaissances, sera à même de rendre attentif son client aux éléments importants qu’il devra prendre en compte, tant pour l’achat que pour la vente d’un bien ». Cela dit, n’importe qui peut exercer une activité de courtier, le titre n’étant pas protégé en Suisse. Seul l’est celui d’expert en estimation immobilière, soumis à l’obtention d’un brevet fédéral. Pour le reste, c’est l’étendue de son réseau de clients qui fait l’efficacité du professionnel tant dans l’estimation du bien que dans la rapidité à trouver un acquéreur, limitant ainsi le nombre de visites.

Forfait vs pourcentage ?
Dans le viseur de l’USPI se trouve sans la nommer la société Neho, marque commerciale de PropTech Partners SA basée à Lausanne et à Zurich. Les arguments de ses nombreux encarts publicitaires ainsi que les témoignages de clients satisfaits circulant sur les réseaux sociaux ont de quoi faire chavirer le coeur et le portemonnaie de la clientèle potentielle. Neho s’inspire
d’un principe qui fait fureur outre-Manche. Elle considère que les commissions perçues par les agences traditionnelles, de l’ordre de 3 % du montant de la transaction, sont devenues disproportionnées en regard d’un marché de l’immobilier suisse où les prix ont quasi doublé en vingt ans, tandis que le travail est demeuré le même, voire s’est vu allégé grâce aux
logiciels de gestion et aux portails numériques. Neho facture ses services au forfait, en deux tranches : 3000 francs H. T. à la signature du mandat et 6500 francs H. T. lorsque la vente est réalisée. A noter que ces 3000 francs sont perçus au titre d’honoraires, indépendamment de la conclusion d’un contrat de vente. Cela pour couvrir les frais de mise en valeur du bien, de promotion et de gestion du dossier. La société indique s’assurer ainsi une rémunération pour le travail accompli au cas où le propriétaire qui a mandaté d’autres courtiers en parallèle traite finalement par un autre intermédiaire. Pas besoin de faire un dessin pour expliquer l’économie que cela permet de réaliser sur la vente d’un bien immobilier conclue à 1 million de francs en comparaison avec une agence traditionnelle qui prélèverait une commission de 3 % dépendant entièrement de la réalisation de la vente. Comment font-ils ? « En éliminant tous les coûts superflus, répondent-ils. Fini les bureaux avec pignon sur rue, les voitures haut de gamme et les processus papier. Un usage optimisé des nouvelles technologies augmente en outre considérablement notre efficacité. »
Pour autant, Neho n’est pas seule à pratiquer du courtage au forfait. Plusieurs autres enseignes et start-up sont désormais actives sur ce créneau. La régie immobilière Galland & Cie, par exemple propose elle aussi des prestations à la carte similaires, ne soutenant le vendeur qu’à certaines étapes de la vente. Ces approches nouvelles se révèlent cependant souvent inadaptées lorsqu’il s’agit de ventes de biens atypiques ou d’exception qui ne sont pas mis en ligne, et où la qualité du réseau du courtier est essentielle. Si le marché du courtage traditionnel est âprement concurrentiel, ce n’est donc pas demain que les formules au forfait global le remplaceront totalement.

L’estimation, nerf du marché
Loin de crier à la concurrence déloyale, l’USPI considère qu’aucun forfait ne peut remplacer la plus-value apportée par ses courtiers. Cela justifie-t-il le maintien de l’usage du pourcentage ? Les pratiquants de la méthode traditionnelle rappellent avec raison que la commission au pourcentage est une puissante motivation pour le courtier de parvenir à une vente au prix le plus juste. Frédéric Dovat : « La plus-value du courtier minimise le risque pour le vendeur de voir son bien mal estimé, sous-évalué et vendu en dessous de sa valeur réelle ou, au contraire, surestimé et stagner sur le marché de la vente. » En effet, davantage que le type de rémunération perçue par la société de courtage, c’est bien la qualité de l’estimation du bien qui fait la valeur de la transaction.
Les estimations en ligne et les sites comparatifs s’appuient essentiellement sur la comparaison des valeurs. Cette méthode, dite hédoniste, basée sur des modèles informatiques, prend en compte des milliers de biens d’une valeur, d’un type et d’une situation similaires et fournit un résultat quasi immédiat. Elle est amplement critiquée par nombre d’agences immobilières classiques qui la considèrent incomplète. Il lui est reproché de ne pas suffisamment prendre en compte des spécificités telles que la qualité de la construction, l’état d’entretien, la salubrité et tout autre caractéristique hors norme, juridiques, légales ou relevant de la subjectivité, autant de critères pouvant influer de manière non négligeable sur la valeur vénale de l’objet. S’il est en fin de compte difficile de faire objectivement la part des choses, il semblerait, selon l’Office de la statistique genevois, qu’un bien vendu par un courtier traditionnel le serait à un prix de 17 % supérieur, constat bien évidemment à double tranchant selon le côté de la table où l’on se trouve.