SCÈNE OUVERTE DE LA DROGUE ET DE LA MENDICITÉ INTRUSIVE

Hôteliers, restaurateurs, commerces, visiteurs et habitants s’alarment à juste titre d’une situation sécuritaire qui s’est dégradée depuis l’été et qui semble inextricable. Si Lausanne n’est de loin pas la seule ville aux prises avec l’aggravation du deal de rue à la vue de tous et de la consommation de drogues dures sur la voie publique, cette réalité y est d’autant plus préjudiciable qu’elle se déroule dans l’hypercentre, à toute heure de la journée, et qu’elle se complique par la pratique de la mendicité intrusive. Les solutions apportées par les pouvoirs publics relèvent hélas jusqu’à présent de l’expérimentation en raison d’un arsenal législatif peu clair pour ce qui est de stupéfiants, voire inexistant s’agissant de la mendicité.

L’association Hôtellerie Lausannoise a exprimé début septembre toute son inquiétude pour l’image de la ville dans une lettre adressée au syndic : « Le fort développement de la drogue et de la mendicité qui a explosé ces derniers mois malheureusement à Lausanne a des conséquences fâcheuses et touche désormais l’ensemble des secteurs commerciaux qui font vivre notre ville. Les Lausannois fréquentant le centre-ville et la gare, les clients des hôtels, ont constaté avec stupéfaction cette situation et restent très surpris face à ce laisser-aller néfaste et cette très mauvaise image que nous donnons de Lausanne. » Et d’ajouter : « A l’heure de la hausse de la taxe de séjour, nos hôtes ne doivent pas être les victimes involontaires d’une situation qui nous échappe toujours plus. »

C’est la publication dans 20 Minutes d’une photo choc montrant un toxicomane se piquant à quelques mètres d’un enfant à trottinette à la Riponne qui a (re)mis le feu aux poudres l’été dernier et a apporté de l’eau au moulin d’un débat fleuve très animé à la mi-septembre au Conseil communal face à ce qui prend des allures de dérapage incontrôlé. De fait, en juin, c’était un véritable campement sauvage de toxicomanes qui s’était installé au nord de cette place, faisant redouter un revival des scènes ouvertes de la drogue des années nonante à Zurich.

Face à ce problème grave et urgent aux allures de crise sanitaire et sécuritaire, la Ville agit désormais essentiellement sur trois axes au centre-ville : présence policière accrue, mise à disposition d’un nouveau local d’injection, et ouverture d’un magasin officiel de vente de cannabis. L’avenir dira si ces dispositifs assez éloignés de la politique répressive qui ne visait que l’abstinence dans les années 80 et 90 portent leurs fruits, ou s’ils ne sont hélas que des solutions inadaptées à la progression du phénomène.

Une task-force de 42 policiers a été mise sur pied. Un reportage de la RTS a suivi une patrouille en déploiement dans le secteur de la Riponne. Il en découle une impression mitigée sur l’effet dissuasif de cette présence renforcée. L’intervention qu’on y voit est plutôt bonhomme. Aucune question dérangeante, reproche, mise en garde, et encore moins de dénonciation malgré le  matériel d’injection posé à côté de personnes assises sur un escalier avec lesquelles les agents engagent un début de conversation. Il en ressort un sentiment de totale impunité. L’impunité est un peu la pierre angulaire de la réussite supposée des locaux d’injection mis à disposition dans plusieurs villes de Suisse. Lausanne a décidé d’en créer un second qui ouvrira l’an prochain, à la Riponne. Et d’annoncer que plus aucune consommation ne sera dès lors tolérée dans l’espace public ou dans les WC. Ouvert tôt sept jours sur sept tôt le matin jusqu’en soirée vue la situation, ce local comporte une nouveauté, sous la forme d’une extension dite de « proximité », lieu d’accueil et de repos avant et après l’injection. Située à 1 kilomètre seulement de celle du Vallon, en service depuis 2018, cette nouvelle infrastructure complète la première, considérée comme trop éloignée de la Riponne par les toxicomanes.

Troisième axe de la politique lausannoise antidrogue : l’ouverture d’un magasin de vente libre de cannabis. Baptisée Cann-L, cette boutique communale est installée au Maupas, dans les locaux d’une ancienne épicerie. Il s’agit d’un projet-pilote destiné à des consommateurs habituels de cannabis, lesquels devront être inscrits pour pouvoir en devenir client. A terme, la Ville espère attirer quelque 1200 de ces consommateurs. Ce magasin sans but lucratif, situé dans un quartier réputé pour le trafic de rue, se veut être une alternative à la vente illégale de marijuana. On y trouvera, à un prix supérieur à celui du marché noir, des produits d’origine suisse, de qualité bio, d’une teneur maximale de 20 % de THC. A la suite de l’approbation de cette démarche par le Grand Conseil, cette boutique ne sera probablement que la première d’autres dans diverses villes du canton.

 

MENDICITÉ DANS LE FLOU
Non moins préjudiciable à l’image de Lausanne est la recrudescence de la mendicité, généralement pratiquée par des personnes venues de l’est de l’Europe, seules ou en groupe, dans la rue et aux terrasses des établissements publics. Elle devrait trouver enfin trouver un cadre juridique propre à en contenir la pratique.

On se souvient que la loi vaudoise, qui instaurait en 2018 des sanctions, bien que votée par le Peuple, a été suspendue à la suite d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour manque de discernement. Elle n’a donc jamais pu être appliquée. Adaptée par le Conseil d’Etat, la nouvelle mouture de cette législation devrait prochainement pouvoir entrer en vigueur. Cette législation ainsi révisée propose notamment de bannir la mendicité intrusive ou agressive et d’interdire toute mendicité de certains types de lieux, comme les files d’attente ou les transports publics. Chacun espère cependant que les dispositions qui seront finalement mises en oeuvre seront claires, afin de ne pas ouvrir la porte à des finasseries juridiques vidant la loi de son sens. Ainsi en est-il par exemple de l’interdiction de mendier dans les files d’attente, quasi inapplicable dans les marchés, où les files d’attente sont quasiment partout… Ou encore de la notion de « proximité immédiate » particulièrement floue si elle n’est pas mesurable.

« Nous ne devons pas laisser la qualité de vie de notre ville se dégrader ainsi pour faire plaisir à une minorité d’éléments perturbateurs et profondément irrespectueux de la vie en société, souligne Hôtellerie Lausannoise. Les efforts qui sont faits pour rendre notre ville plus accueillante, tels que planter des arbres, embellir les places et les quartiers entre autres, sont malheureusement laminés par la triste réalité quotidienne de la rue. »